Entre science et gestion, mettre en place un état zéro du milieu
Espaces naturels n°44 - octobre 2013
Élise Krebs
Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale
Annie Aboucaya
Parc national de Port-Cros
Développer un programme expérimental de restauration écologique suppose d’effectuer des suivis comprenant un état zéro et donc d’identifier les descripteurs de l’écosystème. Exemple sur l’île de Bagaud autour des espèces invasives.
Sur l’île de Bagaud, le rat noir et la griffe de sorcière présentent d’importantes populations. Ces espèces exogènes envahissantes sont responsables de profondes modifications de la faune et de la flore indigènes ; c’est pourquoi, en 2010, le Parc national de Port-Cros a lancé un programme expérimental de restauration écologique (1) de l’île grâce à l’éradication de certaines espèces invasives. Planifié sur dix ans, ce projet est placé sous la responsabilité scientifique de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie. Un suivi scientifique sur le long terme est actuellement en place.
Quels taxons pour le T-zéro ? Préalablement aux opérations d’éradication, un état initial (ou T-zéro) de différentes composantes de l’écosystème a été réalisé. Il vise à évaluer l’état et la composition des communautés afin de confirmer l’intérêt d’agir pour préserver la biodiversité.
Une comparaison avec les différents suivis post-éradication (T+1, T+ 2…) permettra de mesurer la réponse de l’écosystème suite à l’opération de restauration et d’en évaluer le succès. À condition, bien sûr, de reconduire les mêmes protocoles tout au long du suivi. L’identification, en amont du projet, des objectifs de l’opération de gestion et des résultats attendus permet d’élaborer des protocoles adaptés. La question qui se pose alors est de savoir quels taxons étudier pour cet état zéro.
Identifier les descripteurs. Par son régime alimentaire, très varié et opportuniste (végétaux, œufs, poussins, arthropodes, lézards…), le rat noir restreint les populations de nombreuses espèces. Le puffin yelkouan, oiseau marin endémique méditerranéen, est particulièrement vulnérable à la prédation en période de reproduction (œufs et poussins). Il peut également être sensible au dérangement en période de prospection. En effet, il niche dans un terrier et, si ce dernier a été visité par un rat, il deviendra peu attractif.
Le rat noir est également une proie importante de la couleuvre de Montpellier. Suite à l’opération d’éradication, on peut s’attendre à une diminution de cette population ou encore à une modification de son régime alimentaire, celle-ci s’orientant vers les lézards, très nombreux sur l’île.
La griffe de sorcière, quant à elle, forme des tapis monospécifiques concurrençant et éliminant la végétation indigène. Des études ont montré que la communauté entomologique est moins riche et moins abondante au niveau des stations envahies par cette espèce.
Ces différents constats ont permis d’identifier quatre types de descripteurs de l’écosystème : les oiseaux nicheurs terrestres et marins, la flore, l’entomofaune et les reptiles. Tous quatre feront l’objet d’un suivi détaillé tout au long du programme.
Divers protocoles ont donc été mis en place.
Le protocole de suivi de la flore s’inspire de celui initié sur les îles de Marseille et repris par l’initiative Pim (Petites îles de Méditerranée). Il développe une stratégie en placettes emboîtées (voir encart).
L’étude de l’avifaune nicheuse nécessite plusieurs protocoles qui s’adaptent à l’écologie et au comportement des espèces. Le puffin yelkouan est une des espèces pour laquelle un effet positif important de l’éradication est attendu. Un suivi précis de leur reproduction a donc été mis en place. Il consiste à recenser les terriers existants et à les visiter afin de relever les indices de reproduction (œuf, poussin, adulte) et d’occupation (fiente, plume). Il permet de déterminer le nombre de couples reproducteurs et le nombre de terriers probablement occupés.
Ces données sont difficiles à obtenir car l’espèce niche dans des endroits parfois difficilement accessibles. Cependant, le puffin présente un fort intérêt en termes de conservation et cet effort de prospection est important à effectuer car il doit permettre d’évaluer le plus précisément possible la dynamique de la population après éradication du rat noir.
Enseignements attendus. En comparant l’état zéro et l’ensemble des suivis post-éradication mis en place pendant plusieurs années sur les reptiles, les insectes, les oiseaux nicheurs et la flore, il est envisageable de mettre en évidence les effets positifs ou négatifs des opérations menées. L’acquisition de telles données, complètes et précises, sur la restauration des communautés après éradication, devrait permettre d’améliorer les connaissances relatives à la restauration des écosystèmes insulaires méditerranéens : un enjeu de taille pour ces écosystèmes ! Les îles jouent en effet le rôle de refuge pour des espèces souvent menacées voire éteintes sur le continent.•
1. Réalisé avec des fonds : Feder, Fondation Total, Conservatoire du littoral, Parc national de Port-Cros.