Californie

 
les leçons des incendies de 2003

Espaces naturels n°12 - octobre 2005

Vu ailleurs

Jon E. Keeley
Université de Californie

 

Depuis 1970, douze des quinze incendies les plus dévastateurs des États-Unis ont eu lieu en Californie, coûtant aux assurances 4,8 milliards de dollars. Parmi ces événements records, les firestorms1 d’octobre 2003 constituent les feux les plus destructeurs. Mais que la Californie soit l’État le plus touché par les pertes dues aux incendies n’est guère surprenant : avec 33 millions d’habitants, il est également le plus peuplé.

La problématique des incendies de Californie mérite une grande attention au niveau national, non seulement à cause des pertes (de biens et de vies) enregistrées, mais aussi parce que les stratégies de lutte contre les incendies, efficaces dans les autres États, ne conviennent généralement pas à la Californie. Ainsi, la compréhension des régimes de feu est indispensable pour la mise au point d’une politique de prévention et de protection efficace. Deux exemples illustrent ce propos : les forêts de l’Ouest des États-Unis et les maquis de Chaparral en Californie.
Régime des feux
Autrefois, dans les forêts de l’Ouest des États-Unis, l’objectif « zéro feu » a pu être atteint en zone forestière. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait : la saison propice au feu dans les climats de montagne est bien plus courte, les départs sont largement dûs à la foudre et les conditions météorologiques sont en général défavorables à une propagation rapide du feu et, enfin, les incendies se propagent le plus souvent au sol avec des flammes moins hautes, ce qui facilite l’extinction rapide. Ainsi, pendant la majeure partie du xxe siècle, les interventions sur incendie ont permis l’exclusion totale des feux dans une grande partie de ces forêts.
Cette exclusion a cependant entraîné une accumulation anormale de combustible de surface et une densification des jeunes essences d’ombre. Les arbrisseaux constituent alors des combustibles « échelle » qui permettent la propagation des feux superficiels maîtrisables vers des feux de cime de très forte intensité.
La politique de suppression des feux n’est pas le seul facteur ayant conduit à ces conditions potentiellement dangereuses dans l’Ouest des États-Unis. Le gigantesque incendie qui, pendant des mois, a parcouru le Parc national de Yellowstone en 1988 était peut-être une conséquence indirecte du succès de la politique du « zéro feu ».
Autre exemple tout aussi parlant : celui des incendies de maquis en Californie. Dans cette région, la plupart des incendies meurtriers de grande ampleur sont des feux de Chaparral, formation végétale similaire au maquis. Les maquis du Chaparral californien sont caractérisés par des feux de haute intensité qui anéantissent toute biomasse aérienne. Les feux de surface de faible intensité sont absents.
L’analyse des fréquences de feux a démontré qu’il n’existe pas de relation forte entre l’âge du combustible et les risques d’incendie, ce qui voue à l’échec les politiques de maîtrise du combustible, par brûlage dirigé par exemple. Le combustible joue en fait un rôle mineur, car la région est soumise à un régime de vents exceptionnels (les Santa Anas en Californie du sud et les Diablo, dans la région de San Francisco), qui permettent le développement de firestorms quel que soit l’état du combustible… Alors que dans les États de l’Ouest, les grands incendies sont limités aux périodes de sécheresse exceptionnelle, en Californie du sud, les Santa Anas peuvent provoquer des incendies de grande ampleur aussi bien en année humide qu’en année sèche. Dans ces conditions, les pompiers ne peuvent entreprendre que des actions de défense, en attendant un revirement de la météorologie.
Le « zéro feu », un échec
Pendant la deuxième moitié du xxe siècle, les dépenses de prévention et de lutte contre les incendies n’ont cessé d’augmenter en Californie, mais à chaque nouvelle décennie, on enregistrait des fréquences d’incendie inchangées voire croissantes, et des pertes matérielles et en vies humaines sans cesse grandissantes. Force est de constater l’échec du modèle passe-partout prônant le « zéro feu ». En effet, si cette politique a exclu les incendies des forêts de l’Ouest américain, elle a conduit, dans le Chapparal, à une aggravation du risque liée à une accumulation « contre nature » du combustible.
Face à l’échec avéré de cette politique du « zéro feu » en Californie, il paraît indispensable de considérer ces incendies comme des catastrophes naturelles non maîtrisables ; catastrophes parmi d’autres qui impliquent de concentrer les efforts sur la défense des infrastructures humaines et la réduction des dommages et des victimes causés par les firestorms .

Extrait de la communication présentée par Jon Keeley au séminaire international du Rayol sur les feux de forêt dans les régions à climat méditerranéen (14-16 octobre 2004). Cf. article page 9.

1. Littéralement « tempêtes
de feux » : phénomène caractérisé par de violents appels d’air, des tourbillons
et de hautes colonnes de convection qui provoquent l’essaimage du feu à de grandes distances.