Agriculture

Le bio : bon pour les insectes ?

 

Espaces naturels n°51 - juillet 2015

Études - Recherches
Camille Puech
INRA UMR IGEPP
Jacques Baudry et Stéphanie Aviron
INRA UR SAD-Paysage, Rennes

En forte expansion à travers le monde, l’agriculture biologique pourrait permettre de réduire l’utilisation des pesticides et donc améliorer la biodiversité dans les parcelles et les paysages à dominante agricole. Pour mieux comprendre les bénéfices potentiels d’une conversion à l’agriculture biologique, il faut tenir compte de la diversité des pratiques agricoles : utilisation des intrants chimiques, mais également travail du sol, semis, etc.

Capture des coccinelles

Capture des coccinelles. © Puech

Le bio favorise-t-il la biodiversité ? L’agriculture biologique (AB) est de plus en plus proposée comme une alternative à l’agriculture conventionnelle (AC) pouvant permettre, d’une part, une meilleure sécurité alimentaire et, d’autre part, un arrêt de l’utilisation de pesticides. Les pratiques réalisées en AB pourraient aussi permettre le développement d’espèces utiles à l’agriculture, telles que les insectes auxiliaires qui assurent le contrôle biologique des ravageurs de cultures. Il existe une très grande diversité de pratiques en AB et en AC, rendant difficile une vraie évaluation de leurs effets sur la biodiversité. En effet, la comparaison dichotomique des deux types d’exploitation (AB vs. AC), donne souvent lieu à des résultats incertains.

DES PRATIQUES COMMUNES, D'AUTRES DIFFÉRENTES

Une étude réalisée par des chercheurs de l’INRA en 2012, dans une zone agricole bocagère en Ille-et-Vilaine sud a permis de prendre en compte la diversité des pratiques agricoles réalisées en AB et en AC pour estimer les effets des pratiques sur les auxiliaires à l’échelle de la parcelle et du paysage. Contrairement aux éléments semi-naturels (boisements, haies, bandes enherbées, etc.), les pratiques agricoles sont en effet rarement prises en compte dans la description des paysages, bien qu’elles soient susceptibles d’affecter la biodiversité à large échelle. Dans cette étude, 20 zones de 1 km², réparties selon un gradient de surface en AB allant de 6% à 35%, ont été sélectionnées. Dans chaque zone, des relevés ont été réalisés dans deux parcelles de blé d’hiver, une en AB et une en AC (40 parcelles au total). Trois groupes d’insectes ennemis naturels du puceron ont été suivis : les carabes, échantillonnés à l’aide de pots pièges, les coccinelles, échantillonnées à l’aide de filets, et les parasitoïdes, échantillonnés en prélevant les momies de pucerons parasités. Des enquêtes auprès des agriculteurs ont permis de caractériser les pratiques agricoles réalisées dans les 40 parcelles de blé d’hiver pendant la période d’échantillonnage des insectes (avril à juillet).

Les données récoltées au cours des enquêtes montrent que les agriculteurs en AB et en AC ont des pratiques bien contrastées, les deux types d’exploitation étant clairement différenciés par l’utilisation de pesticides, le travail du sol, la longueur des rotations et le semis (premier axe factoriel, horizontal). Néanmoins, la continuité entre les parcelles suggère que les agriculteurs en AC peuvent parfois réaliser des pratiques proches de celles en AB, et inversement. Par ailleurs, il existe une diversification des pratiques commune aux deux types d’exploitation le long du deuxième axe factoriel (vertical), liée à la nature du précédent cultural et à l’utilisation du labour. Les agriculteurs opteraient donc pour certaines pratiques indépendamment du type d’exploitation auquel ils appartiennent. Globalement, il existe une diversité importante de pratiques au sein de chaque type d’agriculture. Cette hétérogénéité est certainement le résultat de la multiplicité des facteurs pouvant influencer les choix des agriculteurs, tels que les objectifs de production, l’expérience personnelle, l’influence des conseillers techniques et les prix du marché.
Il est possible de favoriser la présence des auxiliaires quel que soit le type d'exploitation
À l’échelle de la parcelle, cette étude a néanmoins permis de mettre en évidence une abondance et une richesse spécifique des auxiliaires nettement plus importantes dans les parcelles en AB que dans les parcelles en AC. Ce résultat est cohérent avec la littérature scientifique et souligne la compatibilité globale des pratiques biologiques avec l’installation de communautés d’insectes auxiliaires dans les parcelles. Une prise en compte plus fine des pratiques a par ailleurs permis de montrer que les abondances d’auxiliaires varient en fonction de certaines interventions données, telles que le travail du sol (effet négatif sur les coccinelles et positif sur les carabes), le nombre de variétés de blé semées (effet positif sur les coccinelles), ou la dose et la fréquence d’utilisation des pesticides (effet négatif sur les coccinelles). Il serait donc possible de favoriser la présence des auxiliaires dans les parcelles quel que soit le type d’exploitation, en modifiant certaines pratiques clés. Néanmoins, les différents groupes d’insectes auxiliaires ne répondent pas de la même façon aux pratiques.

À l’échelle du paysage, aucun effet de l’étendue de l’AB n’a été observé sur les communautés d’insectes auxiliaires. Ce résultat est contradictoire avec certaines études ayant observé une biodiversité plus élevée dans des paysages dominés par l'AB. Ceci pourrait être lié au fait que l’étude a été réalisée dans des paysages de bocage, caractérisés par un réseau de haies et d’éléments boisés relativement dense. Contrairement à des paysages plus ouverts, ces derniers sont probablement suffisamment riches en habitats pour les insectes, masquant un éventuel bénéfice de l’AB à large échelle. Cette hypothèse est renforcée par les résultats qui mettent en évidence un effet positif marqué de la proportion de haies et de boisements, ces derniers permettant aux insectes de se réfugier, s’alimenter, se reproduire et se déplacer.

MULTIPLIER LES VARIÉTÉS SEMÉES

En définitive, cette étude montre qu’il semble possible de favoriser la présence des insectes auxiliaires, en modifiant les pratiques agricoles réalisées dans les parcelles. Un tel objectif peut être atteint par la conversion en AB, mais également en modifiant certaines pratiques clés, comme le nombre de variétés semées dans la parcelle. De tels changements sont envisageables pour l’ensemble des agriculteurs, aussi bien en AB qu’en AC. Dans les paysages de la zone d’étude, il ne semble pas nécessaire de mettre en place une organisation particulière des pratiques agricoles (comme la création d’îlots en AB) pour favoriser les auxiliaires. Un maintien des éléments semi- naturels semble par contre essentiel à leur installation. Pour envisager une telle gestion des paysages agricoles, une diversité d’acteurs, agissant à différentes échelles, doivent être impliqués. Les pratiques des agriculteurs peuvent par exemple être guidées par des groupements d’intérêt économiques et environnementaux, des associations locales, des conseillers techniques et aidées par des mesures agri-environnementales.