Et quand les entreprises ne jouent pas le jeu ?

 

Espaces naturels n°51 - juillet 2015

Le Dossier

Fabien Quétier
Directeur d’études, Biotope
Laurent Neyret
Professeur de droit, Laboratoire de Droit des Affaires et Nouvelles Technologies (DANTE), Université de Versailles 

Le Code civil pourrait bientôt reconnaître le préjudice écologique. Un cadre dans lequel les défenseurs de la nature auront un rôle à jouer pour ramener les entreprises sur le bon chemin. Un garde-fou important en termes d'actualité du droit, mais qui ne reflète pas le grand nombre de relations positives et efficaces tissées entre acteurs de la biodiversité et industries, comme l'a montré ce dossier

Pêche électrique réalisée par une équipe de l'Onema, méthode d’évaluation de la qualité des eaux.

Pêche électrique réalisée par une équipe de l'Onema, méthode d’évaluation de la qualité des eaux. © Laurent Mignaux_MEDDE-MLETR

Dans le Code civil de 1804, la réparation des préjudices est subordonnée à la preuve de répercussions sur les personnes. Seuls les dommages causés à « autrui », qu’ils soient économiques, moraux ou corporels, peuvent donner lieu à l’attribution de dommages et intérêts. La nature, ainsi, n’est pas un sujet de droit ! Au fur et à mesure que les atteintes à l’environnement se sont multipliées et aggravées, les juges français ont toutefois utilisé le préjudice moral des associations de protection de l’environnement pour reconnaître indirectement une valeur à la nature lésée. Un tel biais présentait des limites, en particulier eu égard au montant symbolique des réparations allouées à ce titre, consacrant, en creux, une véritable liberté de nuire à la nature.

Les leçons de la jurisprudence Erika

Avec l’affaire de l’Erika, la jurisprudence a consacré la notion de préjudice écologique, défini par la Cour de cassation en 2012, comme « l’atteinte portée à l’environnement », pour un montant global d’environ 13 millions d’euros. Depuis, les décisions se sont multipliées dans le même sens dans des affaires de pollution industrielle ou de braconnage. Désormais, à côté des préjudices subjectifs causés aux personnes, le droit français admet, donc, le préjudice objectif causé à la nature, indépendamment et au-delà des seules répercussions sur les personnes. A la suite de cette décision, la Garde des sceaux a annoncé un projet de loi pour faire entrer le préjudice écologique dans le Code civil. L’objectif recherché consiste à consolider la jurisprudence et à sécuriser le droit du préjudice écologique. En effet, une chose est de poser le principe de réparation du préjudice écologique, une autre est de déterminer les modalités de mise en œuvre d’un tel préjudice spécifique. Un rapport du Club des Juristes de 2012 rappelle ainsi l’importance de renforcer l’expertise judiciaire en matière d’environnement. En 2013, le rapport commandé au Professeur Jégouzo propose également de déterminer la liste des personnes habilitées à demander réparation de ce préjudice et de poser une obligation d’affectation des fonds alloués à ce titre à la sauvegarde de l’environnement.

Les défis de la réparation « en nature »

Les questions techniques soulevées par la réparation « en nature » des préjudices écologiques sont proches de celles de la compensation des impacts autorisés. Outre l’importance d’éviter que les dommages surviennent et d’en réduire les conséquences, on y retrouve la question de l’équivalence écologique. L’analyse d’équivalence offre aujourd’hui un cadre méthodologique précis et éprouvé pour concevoir et dimensionner les mesures de réparation, comme en attestent les travaux du ministère de l’Ecologie sur leur application en France dans le cadre de la Loi de Responsabilité Environnementale de 2008. Ces méthodes reposent toutefois sur la capacité de l’ingénierie écologique à proposer des actions efficaces d’un point de vue écologique, et dont le coût reste proportionné aux dommages. Dans ce contexte, les gestionnaires d’espaces naturels peuvent intervenir à deux niveaux. D’abord en tant que « porte-parole » de la nature endommagée, capables de déclencher une action en justice en demandant réparation du préjudice subi par la nature. Il s’agit alors de bien distinguer celui-ci du préjudice matériel ou moral éventuellement subi par le gestionnaire. Ensuite, les gestionnaires peuvent également intervenir en tant que prestataires pour la réalisation des mesures de réparation décidées par la Justice, sur des terrains dont il faudra sans doute assurer une gestion pérenne. À l’image des débats en cours concernant la compensation des impacts autorisés, il est essentiel de distinguer ces deux rôles, en amont de la décision (évaluation du dommage et conception des mesures de réparation) et en aval (mise en œuvre des mesures).