Territoires

Anticiper les aménagements et remises en état pour créer des conditions favorables à la biodiversité

 

Espaces naturels n°51 - juillet 2015

Le Dossier

Évolution de la société ou relations humaines qui portent leur fruit, en tout cas, le travail des professionnels de l'environnement avec les carriers a beaucoup progressé. Les interactions sont de plus en plus profitables à la biodiversité depuis quelques années.

bassin de Marquise

Sur le bassin de Marquise, quatre carriers travaillent depuis plus de 20 ans. © CVH

Les carrières sont mal perçues par les populations, et ce n'est pas étonnant. Pour les riverains, elles sont sources de nuisances, et comme toute activité d'extraction, elles altèrent le paysage. Les naturalistes, en particulier, y voient une menace : pour des espaces naturels. D'abord, parce que les carrières, par définition, ne se trouvent pas en zones urbanisées ou dans des parcs d'activités. Mais bien sûr aussi pour les atteintes aux milieux et aux habitats naturels. Pourtant les intérêts semblent converger plus facilement depuis quelques années. Grâce à la réglementation d'une part, même si les industriels y voient un parcours du combattant, mais aussi parce que les relations établies dans les années 90 portent maintenant leurs fruits, en même temps que les valeurs environnementales deviennent porteurs pour l'image. « Le métier de carrier a beaucoup évolué, c'est très encadré. On remet en état aussi bien, si ce n'est mieux, que ce qu'on a pris » affirme Philippe Leclercq de l'Unicem* Nord-Pasde- Calais. Une tendance que confirme Jean-Pierre Geib, directeur-adjoint du PNR Caps et Marais d'Opale : pour lui, les carriers ont la particularité d’être des industriels qui travaillent sur le long terme. Sur le bassin de Marquise, où il travaille avec 4 carriers depuis plus de 20 ans, il parle de véritable relation de confiance qui s’est installée et qui, désormais, prend en compte toutes les problématiques du territoire.

Il s'agit d'un des secteurs les plus concernés de France dans le domaine : une importante concentration d'entreprises, dans un secteur géographique réduit, des gisements très profonds qui promettent de durer longtemps, et une production de 10 millions de tonnes par an, le tout dans un PNR. Les liens se sont tissés à l'annonce du tunnel sous la Manche. La production a alors doublé sur le bassin de Marquise, ce qui signifiait de modifier les POS des 9 communes concernées. Jusqu’alors, les négociations se faisaient au coup par coup et principalement en bilatéral, sans vraiment se soucier de ce que faisait le voisin. La proposition a été de lancer une réflexion globale et sur le long terme, soit 30 ans. « On a évalué que la production dite « stérile » [ndlr : les matériaux extraits non vendus] allait représenter 57 millions de m3 soit l’équivalent en volume de13 Mont-Saint-Michel ! De quoi construire ensemble un nouveau paysage » raconte Jean-Pierre Geib. Un an fût nécessaire pour aboutir avec un paysagiste à un plan d’ensemble : s'appuyer sur les reliefs existants, faire des collines avec le même profil que les collines naturelles, boiser sur les deux tiers, et créer des landes sur le reste. trois autres années supplémentaires ont permis d’aboutir à la signature d’un protocole d’accord entre tous les partenaires pour la réalisation de ce plan de paysage traduit au 1/5000e.

« Au début, cela paraissait incompatible de mettre autour de la table des gens si différents, des communes, et des carriers concurrents. Mais maintenant c'est intégré. Nous avons tous intérêt à ce que ce soit coordonné, » confirme Philippe Leclercq. « Ce qui est remarquable, c’est que d’une démarche contractuelle, le plan est devenu ensuite réglementaire au travers des documents d’urbanisme et des autorisations d’exploiter » précise Jean-Pierre Geib. Dix-huit ans après, le volet paysager est enrichi d'un volet biodiversité, en termes d'aménagement et en termes de techniques. « De plus, on a démontré que certains sites de l'exploitation sont devenus intéressants concernant la biodiversité. Par exemple, le hibou grand-duc est venu nicher dans une carrière et des orchidées ont fleuri sur certains dépôts, » poursuit le directeur- adjoint. Fort de sa réussite, le plan de paysage qui vient de se réactualiser pour 30 nouvelles années essaime maintenant sur le territoire voisin de l'Avesnois.

C'est à peu près aussi il y a 20 ans, que le CPIE Loire-Anjou a commencé à nouer des relations avec les carriers, en se rendant dans des sites d’extraction de matériaux en activité afin d’y relever la biodiversité. « Loin de constituer les milieux dégradés pressentis, les carrières en activité présentent une faune et une flore originales. Des espèces menacées se développent dans cet univers minéral que l’on pressentait hostile, » décrit Olivier Gabory, directeur. Le CPIE convainc les carriers de faire des inventaires approfondis et contribue à l’élaboration de la « mention spéciale biodiversité » dans le cadre de la Charte Environnement de l'UNICEM. Cette charte constitue un chemin de progrès balisé d’engagements vers le développement durable proposé aux entreprises volontaires et audité par des structures indépendantes. Les CPIE ont aussi largement répondu à la demande de ce même syndicat qui souhaitait organiser des formations de sensibilisation à la biodiversité et à la prise en compte pour le personnel des carrières.

« Mais c’est au quotidien et au sein même des sites d’extraction que l’accompagnement s’est réalisé et s’est traduit par des résultats tangibles, » explique Olivier Gabory. Il confirme ainsi la tendance : en quelques années, du simple appui technique, les techniciens de l'environnement sont passés du statut de fournisseurs de données à celui de véritable partenaire pour les carriers.

UNE VRAIE QUESTION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Ce lien, Philippe Leclercq pense qu'il est solide maintenant en Pas-de-Calais grâce à la qualité du dialogue. « Quand on a des personnes volontaires de part et d'autre, ça marche. Le dogmatisme n'est pas possible, d'un côté comme de l'autre. Il faut aussi accepter qu'on ne peut pas tout mettre sous cloche. On veut faire les choses bien, on a beaucoup progressé. Mais si on verrouille tout, il n'y a plus de développement économique, le territoire meurt. C'est une question d'équilibre, que chacun soit entendu, » clame-t-il.

On peut effectivement s’interroger sur la cohabitation d'objectifs locaux d'attirer de nouveaux habitants tout en refusant d'accueillir des sites d'extraction. Une vraie question de développement durable aux acteurs de l'écologie, qu'ils soient CPIE ou PNR. Du fait des nuisances engendrées, le réflexe premier (celui de l’intérêt particulier) est bien entendu de ne pas accueillir « dans son propre jardin » une activité générant effectivement des nuisances (bruits et poussières, dégradation du paysage essentiellement). Si ce réflexe premier peut se comprendre, il renvoie vers « d’autres » la responsabilité d’implanter ou non sur leur territoire cette activité économique et ses conséquences collatérales. Les pierres constituent en France, après l’eau, le second produit de consommation courante (33 kg / an / habitant). « Il convient soit de ne plus consommer ce produit en le substituant à d’autres et en développant de façon ambitieuse le recyclage. Soit de ne plus produire en local ces matériaux de construction. Cela revient à en accepter les conséquences en termes de bilan carbone (la distance moyenne entre le site d’extraction et d’utilisation est de moins de 30 km en Pays de la Loire) et reporter l’extraction vers des pays sans doute moins avancés que le nôtre en matière sociale et environnementale, argumente Olivier Gabory. Sommes-nous individuellement et collectivement prêts à explorer –comme pour l’alimentation finalement- la piste d’une production et d’une consommation en local et responsable ? Responsable en ce sens qu’elle ne serait destinée qu’à des usages nobles et « résiduels » résultant d’un développement intense du recyclage de nos matériaux. Responsable aussi parce qu’elle ne renverrait pas vers d’autres –moins outillés que nous- la responsabilité résultant de nos propres modes de consommation. Responsable enfin parce qu’elle intégrerait simultanément à l’activité économique les enjeux liés à l’environnement (risques, nuisances, biodiversité, eau et énergie climat). »

*Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction.