La banque de semences du sol, réservoir pour la régénération
Espaces naturels n°62 - avril 2018
L’étude de la banque de semences du sol permet de mesurer la résilience de la végétation de ripisylve après crue. Le Conservatoire botanique national alpin a réalisé une étude montrant l’intérêt de ces réservoirs pour restaurer des végétations après perturbation.
Le sol en bordure des cours d’eau possède un vaste réservoir de semences. Lors d’épisodes de crues, la couche superficielle est décapée, modifiant fortement la végétation de ripisylve. Dans le cadre de travaux sur le canal usinier de la Durance, EDF a réalisé des lâchers d’eau de mai à octobre 2011, assimilés à des crues contrôlées. L’entreprise s’est alors interrogée sur les effets que peuvent avoir de tels déversés (130 m3/s) sur les groupements végétaux de bords de cours d’eau et sur la résilience des communautés végétales après une telle perturbation.
La Durance prend sa source vers 2 390 m d’altitude dans les Hautes-Alpes et se jette dans le Rhône près d’Avignon. L’originalité de ce cours d’eau réside dans sa pente forte avec environ 0,33 % dans son cours moyen et dans ses paysages changeant. Les hautes montagnes à l’amont sont soumises au régime hydrique alpin alors que la moyenne-Durance subit un régime méditerranéen, caractérisé par de fortes crues automnales. La Durance conserve son cheminement en tresse sur la plupart de son cours alors qu’elle a subi de nombreux aménagements comme le canal de la Durance qui alimente des usines hydroélectriques.
Une étude avant et après crue
Afin de mettre en avant les effets potentiels de la crue programmée sur la végétation de berges, l’étude de la banque de semences du sol a été réalisée avant et après perturbation. La banque de semences du sol correspond à la réserve de diaspores (fruits, graines, spores) viables présentes dans le sol d’un lieu donné. Ce réservoir est connu dans de nombreux écosystèmes tels les forêts tempérées, sols cultivés, marais et prairies, mais pas dans les végétations alluvionnaires. Aucun travail n’avait encore été réalisé sur ces milieux.
L’étude de la banque de semences du sol a deux intérêts majeurs : d’une part, la connaissance de la banque de semences viables du sol et, d’autre part, l’évaluation des potentialités de restauration d’un site. Il existe trois formes de réserves : (i) transitoires : les semences persistent moins d’un an ; (ii) persistantes à court terme : les semences survivent de 1 à 5 ans ; (iii) persistantes à long terme : les semences peuvent survivre plus de 5 ans. La banque de semences persistantes à court ou long terme assure la régénération de communautés végétales perturbées. Ce sont les caractéristiques morphologiques et physiologiques qui conditionnent le type de banque de semences : les graines petites, compactes, à tégument lisse et qui ont la capacité d’entrer en dormance sont les plus efficaces pour former des banques de semences persistantes.
Mobilité des cortèges floristiques
Pour mettre en évidence l’efficacité de la banque de semences après crues, le Conservatoire botanique national alpin (CBNA) a prélevé 30 échantillons de sol sur quatre sites en bords de la Durance dont un site témoin n’ayant pas été touché par la crue programmée. Les échantillons ont été mis en culture en conservant la stratification du sol (0-5 cm, 5-10 cm et 10-20 cm). L’équipe du CBNA a ensuite suivi les germinations des trois années consécutives aux prélèvements. Cette méthode a nécessité la mise sous serre des échantillons de sol afin qu’ils soient dans des conditions favorables à la germination pour obtenir la représentation la plus complète possible. Deux prélèvements ont été réalisés, l’un avant crue en 2010 et l’autre après crue en 2012 ; les germinations ont été suivies durant trois années pour les deux prélèvements.
Les résultats soulignent l’effet de la crue sur la richesse et la composition spécifique du stock semencier. Ils montrent un effet « crue » marqué sur les trois sites impactés par la perturbation. La richesse spécifique diminue fortement après crue, sauf pour le site témoin pour lequel on observe une augmentation du nombre d’espèces germées : récemment perturbé, il semble encore en phase de colonisation au moment de l’étude, d’où l’enrichissement en espèces. La composition des espèces de la communauté végétale présente est modifiée avec essentiellement une expression des thérophytes (plantes annuelles) la première année de suivi. Les changements sont les plus importants dans la couche superficielle du sol A (0-5 cm) tant en nombre d’espèces qu’en abondance, effet certainement dû au décapage de sédiments pendant la crue et à leur dépôts en fin de crue. De plus, l’étude montre que 75 % des plantules observées dans l’étude l’ont été dès la première année.
Quant aux espèces exotiques envahissantes, les analyses montrent un jeu de chaises musicales entre taxa : certaines persistent, d’autres apparaissent après crue et d’autres, au contraire, disparaissent. Les perturbations de type « crue » favorisent leur déplacement dans l’espace et leur expression dans le temps. Les crues renouvellent ainsi les communautés végétales à l’échelle de longs tracés.
Quelles applications tirer de ces résultats ?
Le potentiel de revégétalisation d’un site peut être identifié grâce au stock de semences présentes dans le sol qui révèle l’histoire du site et les végétations qui ont pu se succéder en un lieu. Il permet donc d’identifier les écosystèmes potentiels inscrits dans le sol. Dans le cas de perturbations naturelles d’un site ou de travaux de restauration de milieu, on peut prévoir la nature et l’ampleur des travaux à réaliser en identifiant notamment les espèces à utiliser pour la revégétalisation qui viendront soit compléter soit prendre la place des espèces déjà présentes. En fonction de la présence d’espèces invasives et de l’abondance de semences dans le sol, la revégétalisation ne sera pas abordée de la même façon : décapage de la couche superficielle, accompagné d’un semis très couvrant ou d’une non intervention selon l’importance du stock de semences.
L’étude de la banque de semences du sol peut aussi révéler la présence d’espèces patrimoniales. C’est ce qui a pu être observé pour Centaurium favargerii, une espèce protégée qui n’est connue que de deux stations sur les bords de la Durance où elle n’a toutefois pas été revue depuis 2007 ! L’étude a permis de mettre en évidence l’existence de l’espèce dans deux des quatre sites étudiés à l’état dormant. Porté au gré des crues, le Centaurium favargerii présente un caractère pionnier et vagabond.
Cette étude montre l’intérêt des banques de semences du sol pour restaurer des végétations après perturbation ou après dégradation du milieu. Elle met en évidence la dynamique des communautés végétales qui se remplacent dans l’espace et dans le temps et la capacité d’espèces patrimoniales à se conserver dans le sol jusqu’à ce que les conditions environnementales leur soient favorables. Protéger les espèces, c’est protéger leurs sols !