Zéro pesticides

Accepter un espace public redessiné

 
Pédagogie - Animation

Julien Caucat, Syndicat mixte des étangs littoraux

Le programme Vert Demain vise à limiter l’usage des produits phytosanitaires et améliorer les pratiques horticoles sur le territoire des étangs palavasiens. Un objectif qui passe par un travail sur le regard que nous portons sur l'espace public. Le street art s'est avéré le bon vecteur pour toucher des non-inités.

Collage sur les murs d'un centre social à partir de photos prises lors d’une balade botanique sur le site des salines de Villeneuve (site du Conservatoire du littoral) animé par le Siel et le CEN Languedoc-Roussillon. © Julien CAUCAT - Siel

Tolérer les herbes aux pieds des murs, désacraliser le trottoir, s’approprier l’espace public, etc. Quelle meilleure approche que le street art pour changer les perspectives de nos rues ? En effet, par habitude, l’herbe a perdu sa place dans l’espace urbain. Elle y est devenue une « mauvaise herbe » indésirable voire un signe de saleté. Ce qui est une difficulté­ quand on a pour objectif de limiter l'usage des pesticides – pour, en l'occurrence, prévenir les risques de transfert de contaminants vers les zones humides littorales. Le programme Vert Demain, initié par le Syndicat mixte des étangs littoraux en 2008, a eu logiquement pour premières cibles les communes.

Les collectivités riveraines des étangs palavasiens se sont engagées à changer leurs pratiques, repenser leurs espaces et sensibiliser les acteurs du territoire. Les premiers publics à sensibiliser et à former sont donc les services. Passer à des techniques alternatives n’est pas chose aisée quand on a connu le tout chimique. Pour un même rendu, l’effort d’entretien est à décupler alors que les moyens se réduisent. Ceci conduit à se réorganiser : on passe à une gestion différenciée en fonction des usages, l’herbe fait son retour au pied des murs, etc. Ici, paillages et essences méditerranéennes accueillent les visiteurs, là une friche se regarnit.

Le retour de cette végétation spontanée doit être acceptable aux yeux des riverains. Un savant équilibre se met en place entre entretien et tolérance. La communication devient le ciment du processus d’arrêt des produits phytosanitaires. 

ATTEINDRE LE NON-INITIÉ

Afin de sensibiliser le public, de nombreux outils « conventionnels » sont employés : expositions, livrets, journées sans pesticide, jardins, atelier découverte, etc. Or, avec l’expérience, on constate que le public touché par ces outils reste souvent limité à des personnes déjà sensibles voire actives. L’enjeu est alors de chercher à atteindre le « non-initié », le jardinier du tout chimique voire le râleur du dimanche.

Le parti est pris de s’orienter vers une pédagogie active et positive : trouver des formules pour alimenter les goûts et les couleurs de chacun. Les disciplines comme les regards se croisent. Des événements voient le jour autour d’espaces démonstratifs, alliant horticulture, écologie, histoire, art, etc. Dans le cadre de journées thématiques (semaine des alternatives aux pesticides, fêtes de quartiers, fête de la nature, etc.), journées d’inauguration d’espaces verts démonstratifs financés par l’agence de l’eau, etc. En associant différentes formes (stands des associations locales, balades, ateliers, conférence-débat, tombola, etc.), vous êtes invités à vous réapproprier l’espace public, y accompagner le retour de la biodiversité. L’espace urbain, redevenu propice à la biodiversité, offre de quoi regarder au passant : les plantes ont le temps de se développer, les pollinisateurs font leur retour...

En 2015, un premier partenariat est lancé entre le Siel et l’association les Bonjours. Avec le projet cssJPG (voir photo ci-dessus), le public est amené à la rencontre de la biodiversité, naturelle et urbaine, par différentes disciplines : observation naturaliste, photographie, traitement numérique, street art participatif, etc. Chacun devient tour à tour naturaliste, photographe, maroufleur ou simple observateur. Le but est de rendre le participant acteur de sa pédagogie : le passant ne parlera plus de mauvaises herbes, mais de bourses à pasteur, chélidoines et pimprenelles, œuvres d’art des coins de rue, remèdes de grandmère ou simples voisines éphémères...

Le street art peut être une réponse à l’attente des collectivités, comme des riverains, de se réapproprier l’espace public dans les villes et villages périphériques où l’on ressent « l’effet dortoir ». Le plus du projet cssJPG est son approche participative, il ne s’arrête pas à l’acte artistique. C’est un travail collectif où la diversité des outils employés permet à une grande variété de personnes de s’impliquer.

Les motifs de cssJPG rappellent aussi qu’art des rues et « mauvaise herbe » se font écho, deux indésirables pas si néfastes quand on apprend à les regarder, les accompagner.

Au sein du street art, le collage permet de garder un côté éphémère, respectueux du support et de l’environnement. Au même titre que le pissenlit ne détruira pas le trottoir, le collage ne dégradera pas les murs. Un critère important. On peut rajouter que l’aspect éphémère permet plus de souplesse dans le cas de bâtiments classés, courants sur le littoral et les centres villes. Enfin, le rendu visuel du projet, photos de natures fragmentées et soulignées de marges blanches, reste accessible à tous et ne décourage pas les élus. Le collage peut être totalement improvisé sous forme d’horizon ou sur des totems en carton mobiles.

L'IMPROVISATION AU CŒUR DE LA MÉTHODE

Les lieux changent à chaque fois, que ce soit pour la balade comme pour le lieu de collage. Le but étant de toucher un public le plus large possible, on diversifie. Le public et la thématique sont donc à chaque fois différents. L’idéal est de pouvoir proposer la formule complète : balade découverte avec un animateur nature, prise de photos par les participants, un travail en atelier par l’artiste, collage collectif guidé par les deux intervenants. Chaque étape étant participative, le rendu final est toujours unique.

Des formats allégés sont toujours possibles pour ne pas fermer la porte à des petits ateliers notamment pour faire écho à un événement plus conséquent (centre de loisirs en semaine pour annoncer le collage du week-end ouvert à tous).

Deux types d’animateurs :

• « l’artiste » qui va présenter sa discipline, la technicité et accompagner la réalisation. Il animera l’équipe technique ;

« le naturaliste » qui va guider la balade, peut orienter le choix des plantes selon la thématique. Il va s’adresser aux observateurs pendant le collage et les inviter à rejoindre l’équipe technique.

L’artiste, Jenfi, porte le projet cssJPG depuis 2012, que de nombreuses personnes ont alimenté au fil des rencontres.

UN PROTOCOLE SUR-MESURE

Sur le papier, l'intervention se fait d'abord sous forme d'une balade. Le participant est attentif aux plantes présentées selon la thématique : on peut former des groupes et confier des missions de repérage à chacun. C'est la façon de capter l'attention.

Des appareils photos leur sont attribués avec des consignes plus ou moins précises. Par exemple : chercher à avoir une photo représentant certaines parties de la plante. Chaque groupe ayant son cortège de plantes attribué. C'est le premier volet de la pédagogie active. Les photos sont récupérées par l’artiste qui en fait une composition qui peut être travaillée avec les participants.

Lors du collage, un jeu de rôle se met en place. On attribue à un architecte les plans de la fresque. L’atelier prend la forme d’un puzzle géant, où chacun recherche le numéro de la prochaine photo, attend de voir apparaître celles qu’il a prises et attend son tour pour être architecte ou maroufleur. C'est le deuxième temps pédagogique.

Enfin la scène attire l’attention du passant, qui vient à son tour participer ou simplement écouter les explications. Troisième temps d’accroche.

L’objectif des non-initiés est pour moi atteint, avec de très bon souvenir à Saint-Pierre-de-la-Réunion notamment, concernant les échanges. Certains prennent même le relais pour expliquer la démarche à d’autres passants et les invitent à se joindre au groupe. Les discussions sont constructives et positives, très diverses aussi, mais toujours avec des valeurs citoyennes et environnementales.