2000 ans d’histoire sous notre espace naturel

 

Espaces naturels n°47 - juillet 2014

L'entretien

Corinne Sanchez
chargée de recherche CNRS, responsable du projet sur les ports antiques de Narbonne

 

Quand on se promène sur les terrains du Conservatoire du littoral, dans les zones lagunaires près de Narbonne, on ne se doute pas de ce qui pouvait se trouver là il y a moins de 2000 ans…

Effectivement, avec mon équipe*, nous travaillons sur une zone réputée dans le monde romain comme étant le deuxième port de Méditerranée occidentale après Rome. Nous avons pu découvrir les preuves d’une activité humaine intense, et notamment une canalisation de l’Aude qui a duré jusqu’au Ve siècle et qui nécessitait des moyens financiers et techniques très importants pour être maintenue. Les aménagements visaient à lutter contre l’ensablement de l’embouchure du fleuve dans la lagune de l’estuaire et à créer une zone de déchargement permettant aux grands bateaux d’être relayés par des barques à fond plat. L’année dernière, lors d’un sondage pour observer la construction de la digue à Mandirac, a été découverte l’extrémité d’une épave de l’antiquité tardive. Dans le sens de sa longueur, elle a été reconnue sur 10 m et pourrait atteindre une douzaine de mètres. De fait, on peut avancer l’hypothèse que ce navire a été sujet à des dommages, sans doute après un naufrage dû à une crue, et qu’il a été immédiatement réutilisé pour la réparation de la digue, sans que la cargaison ou une partie de la coque ne soient récupérées. À Mandirac, en effet, des digues qui encadrent le chenal avaient pour fonction de restreindre le cours d’eau afin d’augmenter la vitesse du courant pour rejeter les sédiments et maintenir une profondeur d’eau suffisante pour les bateaux. Ces digues servaient également de quais de déchargements des marchandises. Ces techniques montrent une très forte empreinte de l’homme sur la nature. C’est la première fois qu’on découvre un dispositif aussi important et long, puisqu’il a été reconnu sur deux kilomètres. Puis l’empire romain s’est transformé, les moyens ont diminué, et les aménagements ont fini par disparaître. La nature a repris ses droits.

Qu’est-ce que vos recherches nous disent sur la nature à l’époque romaine ?

Les zones humides ont bien conservé les matières organiques et notamment le bois et les graines. On a pu trouver des pollens de hêtre par exemple qui nous disent qu’il y avait peut-être des hêtraies à l’époque. Des traces de cyprès aussi nous confirment son introduction par les romains pour leurs jardins. De très grandes quantités de chêne ont été utilisées. La déforestation a été importante. Concernant la faune, là aussi, l’influence humaine est forte, l’exploitation de l’huître commence. Les pêcheurs vont de plus en plus loin car la consommation est importante. On sait aussi que les Romains avaient installé des viviers dans la lagune, n’hésitant pas à apporter de grandes quantités d’eau douce pour faire baisser la salinité. Ils y mettaient des murènes, des labridés et autres espèces de luxe.

Comment travaillez-vous avec les gestionnaires d’espaces naturels ?

D’abord, nous échangeons beaucoup sur ces lieux magiques. Ils en ont une très bonne connaissance, c’est leur patrimoine. On leur apporte pour notre part une connaissance sur le passé. Il y a des salariés du PNR de la Narbonnaise en Méditerranée qui participent aux fouilles à titre personnel également. On ne s’imagine pas qu’il y a sous l’espace aujourd’hui « naturel », d’énormes constructions. Une zone naturelle ? L’homme est toujours passé par là. Le potentiel de recherches sur ce secteur géographique est énorme et nos résultats viendront alimenter le futur musée de Narbonne qui ouvrira ses portes en 2017

(*) partenariat inédit entre la Région Languedoc-Roussillon, le CNRS, l’Université Montpellier 3 et le Ministère de la Culture. Un deuxième programme de recherche est en cours jusqu’en 2016.