La recherche ? Pas sans conditions

 

Espaces naturels n°37 - janvier 2012

Le courrier

Sylvain Dromzée
Agent technique de l’environnement

 

Dans de nombreux cas, gestionnaires et scientifiques collaborent. Pour autant, une question demeure : à quelles conditions un programme scientifique peut-il être entrepris ? Ne risque-t-il pas d’interférer avec les objectifs de l’espace protégé ? En effet, il n’est pas rare que prévale une démarche laissant entendre que « connaître, c’est déjà protéger », cette préséance de la connaissance ne va pas de soi. Il serait judicieux d’adopter un principe de protection.
Dans le cas, par exemple, d’espèces très étudiées, il serait utile de prescrire des règles de bonne conduite pour prévenir leur dérangement et considérer le stress provoqué par la capture. Plus généralement, il serait judicieux de tenir compte de la part d’innovation et d’expérimentation, de la patrimonialité, de l’empreinte biologique de l’étude, des durée et fréquence, du mode d’acquisition des données.

Pression de l’étude. La question est d’autant plus pertinente que le progrès technique dicte souvent aux scientifiques les nouvelles questions. Le conservateur doit donc savoir quelle est la part expérimentale d’un recueil de données. En effet, si le développement technologique peut faire partie des buts poursuivis (tracking, isotopes stables, génétique…), ce volet reste minime dans les protocoles élémentaires tels les réseaux de veille, les méthodes de présence/absence, de capture-marquage-recapture…
Pour autant, cette pression est loin d’être négligeable. Un exemple récemment publié sur les manchots1 a révélé que non seulement la survie des adultes mais aussi leur succès reproducteur avaient été impactés par le marquage, remettant ainsi en cause les résultats obtenus par ces suivis.
Car on assiste à une progression par vagues : les technologies apparaissent puis se généralisent comme autant de modes que les labos doivent suivre pour rester compétitifs.
Pourtant, dès lors qu’il concerne un espace protégé, le caractère expérimental devrait être limité. En outre, on ne fait pas payer à la faune un aléa technologique : il faut que ça marche !
Telle espèce, vulnérable ou en déclin, ne peut subir la même pression d’étude qu’une autre dont les populations sont abondantes ou en augmentation.

Garant de la protection de ses pensionnaires. Même en écartant la capture, les biopsies, les techniques de marquage et les différents dispositifs dont sont équipés les animaux, éléments sur lesquels les scientifiques sont vigilants d’un point de vue méthodologique et éthique, c’est au gestionnaire de suivre le cumul des différents suivis. Il doit rester garant de la protection et la quiétude de ses « pensionnaires ».
Avec la culture de l’évaluation instituée en tableaux de bord et indicateurs, le gestionnaire doit s’efforcer à ce que la batterie de suivis et de veilles soit la plus neutre et la plus pérenne possible. Les programmes ponctuels sont donc à examiner à la loupe au regard des objectifs poursuivis. À l’inverse, les programmes sur le long terme devraient être privilégiés par le gestionnaire qui pourrait également promouvoir de nouvelles approches scientifiques basées sur de la veille et des modes passifs d’acquisition de données. Il pourrait ainsi analyser chaque programme d’acquisition de connaissances en fonction de quatre critères strictement opérationnels : empreinte, monitoring, patrimonialité, innovation, auxquels s’ajoutent les composantes de la conservation et du développement durable pour caractériser les objectifs. •

1. Reliability of flipper-banded penguins as indicators of climate change. 2011. Nature 469 : 203 – 206.