Quel pari !

 
Changer la gouvernance des parcs nationaux
Le courrier

Arnaud Cosson
Chercheur au Cemagref de Grenoble, Arnaud Cosson travaille, en lien avec les gestionnaires, sur la gouvernance et l’élaboration des chartes de PNR et de parcs nationaux.

 

Mené par le Cemagref, un travail sociopolitique sur le fonctionnement des parcs met en perspective l’importance de la première charte.

En impulsant un changement de gouvernance des parcs nationaux, la loi de 2006 ouvre une période d’incertitudes. Il est alors tentant de se replier sur les vieilles habitudes : les repérer peut permettre de les dépasser. Quatre grands réflexes sont en effet caractéristiques de l’histoire des parcs.

Sortir du théâtre pour entrer dans l’action collective.
• Le premier, c’est l’évitement. Il y a le parc national et les autres ; on se répartit les territoires, les compétences, et l’on agit en parallèle. L’évitement, c’est aussi le garde qui voit un berger dans un alpage et qui ne se détourne pas pour lui dire bonjour, ou l’élu qui, dans une réunion, évite de passer la parole au directeur du parc.
• Le second vieux réflexe consiste à privilégier le conflit et le rapport de force comme modes de résolution des désaccords.
L’histoire des parcs nationaux est émaillée de cristallisations de conflits qui traduisent une difficulté à aborder sereinement des désaccords portant sur les intérêts ou les valeurs : la logique marchande d’une station de ski et celle, écologique, de protection du patrimoine reposent sur des légitimités différentes. L’une est-elle supérieure à l’autre ? Le dialogue est-il impossible ?
• Le troisième réflexe réside dans la « participation molle » qui rassemble des acteurs sur des choix flous. Les documents de planification de l’action des parcs ont longtemps été des listes à la Prévert sans véritables priorités stratégiques. Chacun pouvait y piocher ce qui l’intéressait, sans s’engager dans une action collective. Ainsi, certains administrateurs participaient aux conseils d’administration juste pour voir si les décisions ne risquaient pas de nuire aux intérêts de leur secteur professionnel ou territorial. Les parcs ont parfois hésité à prendre clairement position alors que les acteurs du territoire auraient préféré un non « ferme et expliqué », à une décision floue laissant place à l’arbitraire.
• Un quatrième réflexe, la théâtralisation, entretient les trois autres. On joue des rôles, on agit en fonction d’a priori.
À chaque fois que les discours se radicalisent, que les postures se figent, que les relations se coupent, on entre dans le théâtre. On s’enferme alors, mutuellement, dans ces rôles qui conduisent chacun à s’écarter peu à peu de la réalité.
En leur temps, ces comportements ont été des solutions intelligentes, trouvées par les acteurs pour gérer les problèmes que leur posait la mise en œuvre d’une politique publique difficile à greffer sur le terrain. Elles ne sont sans doute plus de mises aujourd’hui ; s’en prémunir relève d’une responsabilité collective.

L’expérience des parcs les plus avancés dans la rédaction de leur charte dévoile d’ailleurs que le contact direct, l’action conjointe sur des petits projets et la proximité sont des antidotes à l’évitement. Elle montre d’autres modes possibles de résolution des désaccords : l’argumentation réciproque, la recherche de solutions alternatives après un temps d’écoute mutuelle… La charte est l’occasion de prioriser des objectifs et d’affirmer des choix clairs. Quant à la théâtralisation, un moyen de s’en prémunir passe par la capacité à l’identifier, voire à la verbaliser, ne serait-ce qu’en se posant régulièrement la question : est-on à nouveau entré dans un jeu de rôle ? Mais les vieux réflexes sont tenaces et cela, parfois, malgré la volonté effective des acteurs de changer. La métaphore suivante permet de l’illustrer.
Imaginons deux individus naviguant sur un dériveur. Installés de part et d’autre de la voile, ils ne se voient pas et aucun d’eux ne tient le gouvernail, si bien que le petit voilier s’oriente en fonction du poids des marins : quand l’un se penche au-dessus de l’eau, le bateau s’incline et vire de son côté. Imaginons qu’il fonce sur un rocher. Ayant analysé la situation, le premier marin se penchera au-dessus de l’eau tandis que le second fera de même de l’autre côté. Et le bateau continuera sa course, droite… pour finir sur l’obstacle. Chacun des deux acteurs a changé, mais leur relation n’a pas évolué : ils ne se parlent pas. On peut faire un parallèle avec les parcs, systèmes complexes, multi-acteurs, multi-niveaux, dont personne ne tient le gouvernail. L’action collective étant en grande partie le fruit des relations qui se sont construites au fil du temps, pour que le système change, il faut certes que les acteurs changent, mais aussi que leurs relations évoluent.

La façon d’élaborer la première charte prend une importance particulière : elle est l’occasion de consolider les coopérations existantes, de tisser de nouvelles relations, de faire évoluer celles qui relèvent encore du théâtre collectif.
Cela demande d’oser la confiance, pour partager du pouvoir ou accepter d’en prendre, avec les responsabilités qui y sont attachées.
Ce pari est difficile dans une politique publique largement construite sur des rapports de force. Gageons que l’histoire retiendra ceux qui auront les premiers pris le risque de cette confiance et de ce partage des responsabilités.