>>> Éliminer les espèces introduites au profit des autochtones

Protocole d’éradication du rat surmulot sur l’île de Tomé (Bretagne)

 

Espaces naturels n°8 - octobre 2004

Méthodes - Techniques

Denis Bredin
Conservatoire du littoral
Louis Dutouquet
Conservatoire du littoral
 

Le protocole mis en place dans le but d’éradiquer le rat surmulot de l’île Tomé aura nécessité un an de suivi. Adaptée aux îles, la méthode est efficace, c’est du moins ce que nous montrent les résultats des inventaires des oiseaux nicheurs.

Les pollutions accidentelles type marée noire ont un impact important sur l’avifaune marine. Suite à la catastrophe de l’Érika, le Conservatoire du littoral a proposé à la fondation Total Fina Elf de développer un programme de réhabilitation des îles et îlots bretons favorables à la nidification des oiseaux marins. Depuis 2002, onze sites sont concernés par ce programme qui vise la restauration de la végétation suite à l’abandon des pratiques agricoles et à l’accumulation de déchets, mais également l’élimination d’espèces introduites1. Le but étant de fournir aux populations d’oiseaux marins des sites potentiellement favorables à leur réimplantation.
Favoriser le retour du puffin des Anglais
Renard, putois, rats… Nombre d’îles bretonnes abritent des prédateurs introduits et parmi ceux-ci le rat surmulot, Rattus norvegicus. Ceux-là réduisent ou anéantissent les populations de certaines espèces autochtones (micro-mammifères, avifaunes terrestre et marine notamment).
Le protocole d’éradication du surmulot dans les espaces naturels insulaires a été énoncé par Pascal (1996), station Scribe de l’Inra de Rennes. L’opération d’éradication du surmulot comprend trois phases principales :
le piégeage à l’aide de pièges mécaniques non vulnérants quadrillant l’île tous les trente mètres. Il permet l’élimination de plus des 3/4 de la population de rats ;
la lutte chimique à l’aide de grain d’avoine enrobé d’anticoagulant disposé dans des tubes PVC permet d’éliminer le reste de la population présente sur le site ;
la mise en place de postes antidébarquants prévenant une éventuelle réinfestation puis un contrôle post-dératisation un an après la fin de l’opération.
Chaque station de piégeage est numérotée, cartographiée et intégrée dans un secteur de contrôle. Pour un même secteur, les résultats du contrôle sont consignés sur une fiche de relevé. Les données des fiches de terrain sont enregistrées chaque jour dans une base de données. Après analyse, cette base fournit de précieux renseignements sur les zones géographiques d’abondance du rongeur, le type de milieu correspondant, le nombre de captures pour un même piège...
C’est à ce jour la plus grande île traitée selon cette méthode, c’était un véritable challenge pour cette île peu accessible et escarpée (cf. encadré page 29).
Quand, en 1997, le Conservatoire acquiert ce territoire, la présence du rat sur l’île était de notoriété publique. L’inventaire faunique pré-dératisation est alors confié à l’équipe naturaliste de la Ligue pour la protection des oiseaux des sept îles qui s’est intéressée aux micro-mammifères, reptiles, à l’avifaune terrestre et marine ainsi qu’à l’histoire de l’occupation humaine du site.
Septembre 2002
Piégeage et lutte chimique
Pendant un mois, pas moins de quinze personnes ont assuré un contrôle journalier du dispositif de piégeage. Cette manière d’agir a notamment permis de ne cibler que les rats. Cette équipe comprenait une bonne moitié d’agents ayant déjà pratiqué une opération similaire. Elle était composée du personnel du Conservatoire du littoral dont certains recrutés pour l’occasion et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Au total, près de 600 rats ont été éliminés dont 70 récupérés dans le milieu après intoxication. Après la découverte du dernier rat mort, le contrôle a été maintenu quotidiennement durant une semaine.
Octobre 2002 à mars 2003
Le dispositif
Une fois la dératisation achevée, vingt postes anti-réinfestation ont été installés sur l’île, principalement sur son pourtour et dans le fond des criques où s’accumulent habituellement les déchets. Ces postes abritent de l’avoine empoisonné destiné à supprimer d’éventuels survivants ou de nouveaux rats débarquant sur le site. Leur contrôle, six mois après la fin de l’opération, n’a montré aucun signe de présence du rat : pas de trace au sol, pas de crotte dans les postes et pas de rencontres nocturnes avec l’animal.
Printemps 2003
Le suivi naturaliste
L’arrivée du printemps donne alors l’occasion aux gestionnaires de vérifier l’impact de leur travail. Un suivi naturaliste est mis en place : micro-mammifères, autres que le rat, oiseaux terrestres et marins ainsi que des reptiles. Celui-ci sera réalisé par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et le Conservatoire du littoral. Les résultats ne se font pas attendre : ils montrent une abondance relative de la musaraigne des jardins (Crossidura suavelens). Ses effectifs sont multipliés par onze. De même les effectifs de passereaux sont multipliés par deux ou trois et l’on note plusieurs visites nocturnes de puffins des Anglais chanteurs, peut être à la recherche d’un site de nidification (voir tableau de recensements des oiseaux nicheurs - page 29).
Octobre 2003
La semaine de vérité
Un an après la dératisation, il était temps de contrôler le succès ou l’échec de l’opération et de vérifier l’absence de rats sur Tomé. Un nouveau dispositif de piégeage (100 pièges) a été installé sur le pourtour de l’île (zone où les captures avaient été les plus abondantes), contrôlé durant une semaine : aucun rat n’a été capturé et aucun indice de présence n’a été détecté. L’opération menée en septembre 2002 est donc un succès, le rat est totalement éliminé de l’île Tomé. « L’explosion » des populations des autres espèces, constatée lors du suivi naturaliste, est à mettre en relation avec ce succès.
Octobre 2003 (toujours !)
Principales difficultés
L’accès au site est incontestablement la difficulté première d’une telle opération. Il suppose de solides moyens nautiques ainsi que des navigateurs expérimentés pouvant assurer la sécurité de l’équipe en toutes circonstances.
La seconde difficulté est d’ordre logistique. Le principe est simple : tout prévoir pour l’opération et pour faire vivre quinze personnes pendant un mois (matériel nautique, carburant, logement, restauration, parking, mouillage, transport de 20 m3 de matériel sur le site…).
La garantie du succès, notamment l’analyse scientifique des données, nécessite une constante vigilance et de la régularité dans le contrôle des pièges et le changement des appâts, du début à la fin de l’opération, ainsi que de la rigueur dans le relevé quotidien des données.
Enfin, la période choisie pour dératiser a son importance. Après trois années, l’expérience nous conduit à bannir l’hiver : en plus des conditions de navigation défavorables, les rats semblent moins actifs et sont donc plus difficiles à piéger. Le printemps et l’été sont bien évidemment à éviter du fait de la nidification de l’avifaune, la meilleure période reste le début d’automne, de fin août (départ des touristes) à fin septembre, voire mi-octobre.

1. L’introduction d’espèces est la seconde cause de disparition des espèces à l’échelle du globe après la destruction des habitats. Diamond - 1989.