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Les pratiques pastorales ont un impact sur l’avifaune

 

Espaces naturels n°8 - octobre 2004

Le Dossier

Frédéric Blanc
Doctorant géographie de l’environnement

 

L’étude menée à Nohèdes et Jujols dévoile que les dynamiques pastorales et paysagères jouent un rôle important sur l’évolution des communautés d’oiseaux. Elle renforce la légitimité de l’élevage. Elle montre que dans le cadre d’une gestion des espèces, les oiseaux peuvent être utilisés comme bio-indicateurs des pratiques pastorales afin de hiérarchiser les actions prioritaires.

Depuis bientôt un siècle, dans un contexte de déprise agricole généralisée, on constate un appauvrissement de la variété des paysages montagnards méditerranéens. Sous l’effet de la déprise et de l’évolution des pratiques pastorales, les paysages ouverts entretenus autrefois par l’homme et son troupeau laissent place à des milieux de plus en plus embroussaillés et forestiers, provoquant une modification des écosystèmes ouverts. Or, l’étude menée sur les communes de Nohèdes et Jujols montre que les dynamiques pastorales et paysagères jouent un rôle important sur l’évolution des communautés d’oiseaux. L’approche pluridisciplinaire de cette recherche repose sur une étude historique du pastoralisme local, sur un ensemble de relevés ornithologiques et sur l’utilisation d’une étude diachronique comparée de la végétation entre 1953 et 20001.
Ce sont des relevés ornithologiques (points d’écoute) et l’identification des habitats préférentiels des espèces qui ont permis de caractériser les différents cortèges d’oiseaux. Ils ont, du même coup, mis en évidence l’enjeu de conservation qui pèse sur ces milieux pour le maintien des oiseaux d’intérêt patrimonial. Sur un total de 39 espèces recensées, 15 bénéficient d’un statut patrimonial (tableau 1).
En effet, en croisant ces résultats avec ceux de l’étude diachronique de la végétation (carte 2) et en prenant en compte le contexte historique de l’élevage, on différencie deux types d’évolutions paysagères :
• Nohèdes est caractérisée par une dynamique de transition. Ce village a subi une profonde transformation. On note le passage rapide d’un paysage de pelouses à celui de landes (- 1 080 ha en cinquante ans) et de formations boisées (+ 649 ha) causé essentiellement par un déclin de l’élevage et un arrêt des brûlages. En cinquante ans, l’avifaune des milieux ouverts a pratiquement disparu au profit d’espèces liées aux landes tels l’accenteur mouchet ou la fauvette pitchou.
A contrario, Jujols est marquée par une dynamique à deux vitesses : une progression des ligneux (+ 233 ha) mais également la conservation d’une surface plus élevée des pelouses (241 ha) grâce à un élevage plus soutenu et une politique plus forte de brûlage dirigé. Cette pratique a permis le maintien d’une avifaune spécifique des milieux ouverts à caractère steppique et pyrophile tel le pipit rousseline.
Ces dynamiques paysagères entraînent un changement de composition dans la communauté d’oiseaux : d’une part les espèces des milieux ouverts à forte valeur patrimoniale régressent, d’autre part les espèces forestières plus communes gagnent du terrain.
On peut s’interroger sur les menaces qui pèsent sur le maintien durable des populations d’oiseaux reconnues pour leur caractère patrimonial. La légitimité de l’élevage en montagne en est renforcée.
Dans le cadre d’une gestion des espèces et de leurs habitats, l’utilisation des oiseaux en tant que bio-indicateurs des pratiques pastorales et des dynamiques paysagères, en relation avec une lecture historique de la végétation, permettraient de mieux localiser et de caractériser les enjeux puis de hiérarchiser les actions prioritaires. Cette démarche peut être un outil précieux pour la prise de décision dans le cadre d’un plan de gestion d’une réserve naturelle ou pour une mesure expérimentale Natura 2000.

1. Roura i Pascual N. Evolucio de la vegetacio en un paisatge rural de muntanya :
sud del massis de Madres i el Mont-Coronat, Pirineus Orientals (1953-2000). Université de Gerone, Réserve naturelle de Nohèdes. 182 p. 2002.