Tuvalu

La première nation menacée de disparition fait l’inventaire de sa biodiversité marine

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Le courrier

Martine Cartier
Association franco-tuvaluenne Alofa Tuvalu
 

La biodiversité marine est la ressource vitale de Tuvalu1, archipel du Pacifique. L’inventaire de son stock halieutique doit permettre aux Tuvaluens de gérer leurs ressources tant qu’ils pourront rester sur leur terre.

Le quart de Paris, la moitié de l’Île de Manhattan… Tuvalu (1), ce petit pays de 26 km2 est menacé de disparition prochaine par les dérèglements du climat. Ses 11 000 habitants seraient les premiers réfugiés climatiques, à l’échelle d’une nation. Tuvalu est un archipel de neuf îles basses, disséminées sur 900 000 km² d’eaux territoriales dans le Pacifique Sud, au nord des Fidji.
D’ores et déjà la culture traditionnelle de tubercules est rendue difficile par les remontées d’eau de mer dans le sol. En 2011, la sécheresse a duré neuf mois. La ressource marine est plus que jamais vitale pour les Tuvaluens. Presque tous les aspects de la vie tuvaluenne sont liés à l’océan qui l’entoure. Il pourvoit aux besoins de nourriture, influe sur le climat et érode la terre si précieuse.
Mais, à quantité égale, pêcher prend quatre fois plus de temps qu’auparavant et, d’après les pêcheurs, les poissons de récifs sont de plus en plus petits. Les zones de pêche se sont éloignées du rivage et, avec l’augmentation du prix de l’essence, un jour sans poisson dans les filets est catastrophique.

C’est pourquoi l’association franco-tuvaluenne Alofa Tuvalu a réalisé le premier inventaire de la biodiversité marine tuvaluenne (Tuvalu Marine Life). Cet inventaire est destiné à aider les Tuvaluens à gérer leur patrimoine naturel.
Les îles étudiées ont maintenant un point de référence des espèces et des stocks. Les usagers locaux et les agents des pêches de Tuvalu ont bénéficié d’un renforcement de compétences, avec la transmission de techniques d’évaluation standardisées pour le suivi et la gestion autonome de leur patrimoine marin.
S’il apparaît qu’il y a aujourd’hui suffisamment de poissons pour la consommation locale, la surpêche et les impacts des changements climatiques pourraient menacer la sécurité alimentaire des Tuvaluens.
Au moins soixante-dix-neuf espèces d’intérêt appartiennent à la liste rouge de l’UICN, parmi lesquelles vingt-neuf dans les catégories vulnérables ou quasi menacées d’extinction.
La densité moyenne des macro-invertébrés comestibles est faible dans les trois atolls. Les stocks de concombres de mer et de bénitiers (classés dans l’annexe II de la Cites et considérés comme vulnérables par l’UICN) déclinent dramatiquement. Aucun spécimen vivant de bénitier géant n’a été observé à Nanumea.
Conséquence probable d’une exploitation qui a duré quelques années, pratiquement aucun concombre de mer à valeur commerciale n’a été recensé.
Compte tenu de leur rareté ou de leur surexploitation, les bénitiers, les trocas, les turbots et les concombres de mer à valeur commerciale nécessiteraient un suivi spécifique, de même que, chez les poissons, le thon obèse, le perroquet à bosse, le napoléon, certains mérous, comme le mérou marron ou le mérou géant.

Donner aux Tuvaluens une référence de leur stock les aidera à gérer leurs ressources tant qu’ils pourront rester sur leur terre. Combien de temps ? Tuvalu Marine Life ne changera ni la face du monde ni le destin de Tuvalu. Cette publication représente un instantané de sa biodiversité au début du 21e siècle… la mémoire de son patrimoine, de sa culture pour les générations à venir qui auront grandi loin de leur terre.
Car, en dépit des alertes scientifiques et des efforts déployés par les acteurs de la préservation de l’environnement à travers le monde depuis au moins un demi-siècle, les indicateurs planétaires sont au rouge vif. Les scientifiques surveillent avec attention l’acidification des océans consécutive à l’augmentation des émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère, un phénomène chimique qui risque de bouleverser tout à fait l’équilibre biologique des mers du globe. Le réchauffement que les scientifiques préconisaient de limiter à + 2° en 2009 est d’ores et déjà envisagé à + 4,5°. La vie dans les océans s’éteindrait à + 6°. Et avec elle, possiblement la vie humaine…
L’inventaire Tuvalu Marine Life est aussi le point de départ de nouvelles campagnes de sensibilisation en direction du public et particulièrement des plus jeunes. Une première exposition et des ateliers pour les enfants sont organisés à l’initiative de l’Aquarium tropical, à Paris, depuis le 4 juin. •

1. Nation indépendante depuis 1978, après un siècle de protectorat britannique, Tuvalu (autrefois les îles Ellice) siège aux Nations Unies depuis 2001.