Potion magique ou pilule amère?

 
Édito

Gilbert Simon
Administrateur du WWF France, de la SNPN, de Ferus, et ancien directeur de la Nature et des Paysages

Les réintroductions, renforcements et translocations d’animaux sauvages, parfois de plantes, se multiplient. Toujours présentés aux médias comme des success story . À l’inverse, beaucoup les perçoivent comme une preuve du mauvais état de la nature.
Les deux lectures ne sont pas contradictoires… Si les hommes ont éliminé quelques espèces (soit des prédateurs, soit des animaux à haute valeur cynégétique ou commerciale), leur retour est a priori une bonne nouvelle. Il témoigne du maintien ou de la restauration d’un habitat propice (condition de toutes les opérations sérieuses) et d’un changement dans les mentalités et les comportements.
De nombreux animaux nous susurrent ainsi : « Allons, tout n’est pas si noir, qui aurait espéré un tel renversement de situation ? » En France, il s’agit du castor, du bouquetin, du vautour ; aux États-Unis, du loup (plusieurs sous-espèces), du condor de Californie ; en Afrique australe, du rhinocéros blanc.
Mais souvent aussi, les manipulations ne sont qu’une gesticulation désespérée devant la dégradation irréversible des éco-régions. On transfère des grands singes, on en relâche, mais à quoi bon si la forêt primaire n’est plus que lambeaux ? On brasse les félins et les lycaons de parcs en ranchs pour lutter contre la consanguinité et pour diviser les risques, mais jusqu’à quand dans une Afrique où s’accentue la pression autour des aires protégées fonctionnelles ?
Parfois les réintroductions entreprises et réussies à grands frais dans les pays riches feraient presque oublier que les espèces concernées se portent ailleurs de plus en plus mal : les vautours se rétablissent par dizaines en France mais ils disparaissent par milliers en Espagne, par centaines de milliers en Inde… L’ours brun va peut-être reprendre un fil de vie dans les Pyrénées mais il recule de la Turquie à l’Himalaya…
S’il n’est pas question de se priver de l’outil des manipulations d’espèces qui, employé à bon escient, peut rétablir des situations ponctuellement très compromises, il ne faut pas compter sur lui pour sauver la biodiversité. Seule une minorité d’invités, le plus souvent prestigieux, sera appelée à attendre dans les zoos et les enclos des jours meilleurs. Le tigre, le panda, comme naguère le tamarin lion ou le bison d’Europe seront toujours des nôtres. Le thylacine l’aurait été, à quelques années près. Cependant, des millions d’insectes, de mollusques, de reptiles, d’amphibiens, sans parler des animaux marins, disparaîtront à jamais, avec leurs habitats, sous les coups de nos pollutions.
Les opérations de réintroduction sont séduisantes : qu’elles soient l’occasion de mobiliser autour de la biodiversité, au-delà des cercles d’initiés. Et, toujours à condition de pointer le doigt sur la conservation et la restauration des habitats, ennuyeuses, dérangeantes, monotones mais ô combien prioritaires.

>>> Gilbert.Simon@equipement.gouv.fr