Plus variées qu’on ne l’imagine

 
L’eau et la tourbe sont les paramètres communs des tourbières. Mais celles-ci offrent une diversité de formes et de paysages.

Espaces naturels n°11 - juillet 2005

Le Dossier

Olivier Manneville
Maître de conférence biologie et écologie végétale à l’université de Grenoble
Francis Muller
Pôle-relais tourbières
 

Sous le vocable « tourbière » se cachent des milieux très divers. Le stéréotype de leur genèse est celui d’un petit lac glaciaire dont les bords se font lentement envahir par une végétation palustre. Sur un entrelacs de trèfle d’eau et de comaret, les sphaignes se développent puis se déposent en une couche épaisse. C’est la décomposition très incomplète de ces bryophytes* qui donne naissance à des couches de tourbe. Envahi par cette tourbe, le lac disparaît progressivement en quelques millénaires. Mais il existe bien d’autres formes possibles d’évolution des tourbières.
Une tourbière ?
Les tourbières ont des critères en commun :
w Il s’agit de milieux humides sur tourbe. Ce matériau, en grande partie organique (30 % au moins), est issu de la décomposition partielle de végétaux sous conditions d’anaérobiose.
w Elles ont un bilan hydrique globalement positif. L’ensemble des apports d’eau (précipitations, écoulements de surface ou souterrains…) est supérieur ou égal à l’ensemble des pertes (évaporation, absorption par les plantes, écoulement…) pendant la majeure partie de l’année.
Mais d’autres critères les différencient :
w Le mode de formation et la situation, liés à la position géomorphologique (cf. schémas page 9). Il existe tant de possibilités d’installation d’une tourbière que l’on peut dire : « dans les climats appropriés, toute zone d’eau stagnante a vocation à voir s’installer une tourbière… si on lui en laisse le temps ! » (sauf en milieu extrême très salé, très froid ou à inondation temporaire).
w Le mode d’alimentation hydrique . Ombrotrophe (alimenté uniquement par la pluie). Le cas se présente uniquement dans les régions à pluviométrie importante, il s’agit alors de tourbières oligotrophes*, donc pauvres en nutriments. Dans les autres cas, la tourbière est minérotrophe (les eaux sont plus chargées en matières minérales ; le pH dépend surtout de la nature des sols traversés par ces eaux).
w L’acidité. Si la langue française n’a pas de mot spécifique pour différencier les tourbières acides (dont les eaux d’alimentation ont un pH < 5,5) et les tourbières alcalines, d’autres langues les identifient. En anglais on dit bogs pour les premières (essentiellement basées sur l’accumulation de sphaignes) et fens pour les secondes où dominent des joncacées ou cypéracées comme les laîches.
w Le caractère actif. Selon que la turfigénèse, production de tourbe, est en cours ou non.
w L’épaisseur de tourbe. Elle peut aller jusqu’à plusieurs mètres. Mais l’on différencie les milieux paratourbeux (épaisseur de moins de 30 ou 40 cm) des milieux proprement tourbeux.
Chacun des types de tourbières définis par les critères ci-dessus réagit différemment aux pressions du milieu et nécessite donc une gestion adaptée.
De manière générale, on peut dire :
- que les tourbières, surtout les plus oligotrophes et les plus anciennes, sont très difficiles à restaurer après dégradation. Cela tient en partie à la lenteur des processus qui les concernent ;
- qu’il n’est pas impossible d’intervenir positivement sur une tourbière dégradée. Cependant, il n’est pas toujours possible de revenir à un état antérieur. La réhabilitation envisageable est fonction de l’ampleur et de l’ancienneté des dégradations, ainsi que des modifications du contexte.
Hydrologie
L’eau est au centre du fonctionnement et des dysfonctionnements d’une tourbière. Des variations peuvent être la cause de perturbations importantes. Ainsi la nature peut, dans une certaine mesure s’accommoder d’un manque d’eau ; en revanche, les conséquences d’un drainage induisent une modification durable des conditions de la tourbière et, souvent, sa disparition pure et simple.
Suite à un assèchement, la réhabilitation va être rendue difficile par la minéralisation de la tourbe en surface. En effet, la disponibilité en oxygène créée par l’assèchement va permettre une décomposition des végétaux et une modification des caractéristiques de la tourbe des couches supérieures du marais. Même avec le retour d’eau de qualité adéquate, cette tourbe est définitivement détériorée. Une restauration pourra impliquer d’ôter les couches supérieures de tourbe.
La composition de l’eau peut également être modifiée (généralement du fait d’activités humaines). La baisse de qualité des eaux est tout aussi grave que le manque d’eau. Ainsi, l’apport d’une eau riche en minéraux et en engrais (dû à une modification des pratiques agricoles aux abords), dans une tourbière naguère oligotrophe* et acide, va faire disparaître la végétation et la faune inféodées aux milieux pauvres et acides.
Toute réhabilitation ou restauration nécessite de faire le bilan préalable des facteurs hydriques. Si les conditions antérieures ne peuvent être rétablies, on ne pourra obtenir, selon l’importance de la variation, qu’un autre type de tourbière, voire un autre type de zone humide non tourbeuse, ou même un milieu non humide. Ainsi, il est relativement vain d’essayer d’extirper les graminées sociales 1 émanant des arbres envahissants quand les conditions hydrauliques ne sont plus à même de maintenir un marais. Cet acharnement ne peut être valable qu’à titre temporaire, le temps de trouver une solution intégrant les questions hydrologiques ou, à petite échelle, pour sauvegarder la station d’une espèce rare.