Loisirs aquatiques

Mieux comprendre l’impact du piétinement humain sur le Verdon pour mieux le gérer

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

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Gestionnaires comme acteurs du territoire du Moyen Verdon s’inquiètent d’une trop forte fréquentation de la rivière par les randonneurs et sportifs d’eau vive. Une étude récente sur le piétinement devrait permettre de mieux en gérer les impacts.

Sortie de l’eau de randonneurs aquatiques. - Crédit : Christophe Garonne / MRE

Sortie de l’eau de randonneurs aquatiques. - Crédit : Christophe Garonne / MRE

Le Moyen Verdon serpente entre le village de Castellane et le lac de Sainte-Croix, traversant notamment le célèbre grand canyon du Verdon. C’est un cours d’eau tumultueux, dont le débit est régulé par Électricité de France, gestionnaire du barrage de Castillon et Chaudanne, situé en amont de Castellane. Quand vient l’été, le débit du Moyen Verdon alterne entre débit réservé (ou restitué) à 1,5 m3/s et débit turbiné, adapté aux sports d’eau vive embarqués (raft, canoë-kayak) à 10-13 m3/s. Les jours de faible débit, les compagnies commerciales de sports d’eau vive proposent depuis 20 ans la pratique de la randonnée aquatique. Cette activité, qui n’est rattachée à aucune fédération sportive, s’est développée pour pallier le manque d’eau pour les sports d’eau vive. Dans le Verdon, elle se pratique généralement sous l’encadrement de diplômés d’un brevet d’État « canoë-kayak » ou « canyon ». Le débit réservé profite également aux nombreux baigneurs des campings et des sentiers de randonnées qui bordent la rivière.

D’une année sur l’autre, ces pratiques individuelles ou encadrées évoluent, atteignant aujourd’hui des endroits où on ne les attendait pas. Une masse de pieds en contact direct avec le fond de la rivière qui inquiète et interroge les gestionnaires des milieux naturels, mais aussi ceux qui, depuis longtemps, ont fait leur vie autour de cette rivière. En 2010, un plan de gestion de la rivière du Moyen Verdon avait été validé après une large consultation lancée par le Parc naturel régional (PNR) du Verdon, croisant les regards et avis de 150 acteurs du territoire. Ce plan de gestion, qui visait à concilier la préservation des espèces et milieux aquatiques et la pratique des loisirs et sports aquatiques permettait d’avoir une vision plus claire des différentes opérations menées dans le cadre de dispositifs complexes comme l’Opération grand site des gorges du Verdon, Natura 2000, le plan national d’actions en faveur d’un poisson, l’Apron du Rhône, le schéma d’aménagement et de gestion des eaux et le contrat de rivière du Verdon. C’est dans ce cadre qu’il a été décidé, en 2014, de lancer une étude de trois ans sur l’impact du piétinement humain lié aux loisirs aquatiques, sur le Moyen Verdon.

OBJECTIFS ET MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE

L’objectif affiché de l’étude était à la fois d’alimenter les outils de gestion et réglementaires existants ou à venir, et d’améliorer les outils de sensibilisation du public amateur ou professionnel (formation des guides de rivière, support de communication grand public, publications). Le suivi des invertébrés aquatiques sur des stations représentatives du piétinement a constitué la base du travail réalisé pendant trois années consécutives. Un comité de pilotage représentant environ 70 structures (associations de protection de l’environnement, gestionnaires de rivières ou d’espaces naturels, professionnels des activités de pleine nature, services de l’État et collectivités territoriales) a été constitué. Enfin, un comité de suivi scientifique constitué notamment de l’Irstea (pour les aspects hydrobiologiques) et de l’université Joseph-Fournier de Grenoble (pour les aspects socio-environnementaux des sports de nature) a suivi le déroulement de l’étude.

Moyennant le budget imparti et les contraintes liés au secteur d’étude, la méthode choisie en 2014 s’est appuyée sur les éléments suivants : (i) Une description des faciès et des habitats du secteur d’étude ainsi qu’une description des actions liées aux loisirs aquatiques (nage, marche, arrêt, saut, etc.) ; (ii) Le choix de deux stations, l’une très piétinée dans un secteur fréquenté par des randonneurs aquatiques, l’autre avec un piétinement moindre ; (iii) Le choix de 3 types d’habitats par station pour les prélèvements d’invertébrés, en fonction de leur représentativité sur le secteur d’étude (les pierres et les galets dominant la surface des deux stations), de leur capacité d’accueil pour les invertébrés et la végétation aquatiques et de leur probabilité d’être ; (iv) Plusieurs campagnes de prélèvement d’invertébrés au cours de la saison estivale (état des lieux avant la saison touristique, en milieu et en fin de saison). Il n’a cependant pas été possible de réaliser des prélèvements peu après la fin de la saison touristique pour mesurer la résilience du milieu. En effet, EDF a réalisé des lâchers d’eau importants dès le mois de septembre pour des raisons de travaux et d’entretien de ses ouvrages au cours des trois années d’étude. L’Indice biologique global normalisé (IBGN) utilisé pour évaluer l’état écologique des masses d’eau a été mesuré au mois de mai afin de savoir si l’impact mesuré en été perdurait au cours de l’année.

L’étude met en évidence que l’impact du piétinement s’exprime par des baisses de densité faunistique importantes dès les premiers passages des randonneurs aquatiques. D’un point de vue de la richesse faunistique, les différences sont globalement moins significatives. La richesse est affectée quand le niveau de densité est extrêmement faible. Il ne semble donc pas y avoir d’espèces d’invertébrés plus sensibles que d’autres. Outre les différences de densité d’invertébrés révélées entre les deux stations, l’analyse habitat par habitat montre que les cailloux de petites tailles sont très instables et supportent moins le piétinement. La végétation aquatique est faiblement enracinée à son support et supporte assez mal les frottements. Elle constitue pourtant de véritables réservoirs biologiques dans un cours d’eau dominé par les éléments minéraux. Enfin, le piétinement ne semble pas porter atteinte à la qualité biologique des secteurs empruntés. En 2015 et 2016, les IBGN obtenus classent le cours d’eau comme « de très bonne qualité » et sont conformes aux indices obtenus sur d’autres secteurs du Verdon.

ET MAINTENANT ?

Les résultats de l’étude ont avant tout permis de mettre fin à une phrase qui survenait régulièrement dans les discussions avec les professionnels des sports d’eau vive : « Prouvez-nous que nous avons un impact. » Force est de constater qu’aujourd’hui, il est plus simple d’aller à l’essentiel, et de discuter de la manière de réduire ces impacts.

Les formations1destinées aux guides de randonnée aquatique ont pu intégrer de nouvelles préconisations. Parmi celles-ci : ne pas laisser les groupes de randonneurs aquatiques stagner dans la rivière au niveau des habitats naturels les plus fragiles, leur expliquer de ne pas s’accrocher aux rochers couverts d’algues ou de mousses, optimiser des cheminements uniques, etc. Ces résultats ont aussi pu être mis en parallèle avec ceux d’une étude sur le régime alimentaire de l’Apron du Rhône réalisée au même moment dans le Moyen Verdon. Cette dernière montre que ce poisson endémique du bassin du Rhône ne vit pas dans des conditions optimum dans le Verdon. Sa proie privilégiée et presque exclusive, une éphémère du genre Baetis, est peu présente dans les gorges. De nouvelles pressions sur les proies de l’apron peuvent donc fragiliser la population. Les conclusions de l’étude viendront également alimenter la réflexion sur l’extension de l’arrêté interpréfectoral de protection de biotope de l’Apron (cf. Espaces naturels n° 41, p. 38-39).

Ne pas laisser les randonneurs aquatiques stagner dans la rivière protège les habitats les plus fragiles.

Enfin, ces résultats doivent à présent être appropriés par les offices de tourisme et les campings afin de sensibiliser au mieux les touristes qui viennent majoritairement dans le Verdon pour la baignade et les activités aquatiques diverses. Des outils de communication (bâches, exposition, autocollants) sur l’impact des barrages de galets et la fragilité de la rivière sont déjà distribués par le PNR dans les campings ou auprès des loueurs d’embarcations. Des messages sont transmis tous les étés par les écogardes du PNR. Des formations à destination des professionnels du tourisme pourraient aussi être proposées.

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(1) Ces formations sont organisées depuis plus de 15 ans par le PNR du Verdon, elles comportent un volet théorique en salle et un volet pratique sur le terrain avec repérage des cheminements les moins impactants sur les secteurs de pratique.