Ingénierie écologique

 
Des mots pour le dire

Frédéric Gosselin
Ingénieur et chercheur au Cemagref. Il travaille dans l’équipe « Biodiversité et gestion des forêts de plaine

 

Comme beaucoup des concepts actuels, l’ingénierie écologique nous apparaît d’emblée comme séduisante, consensuelle et intuitive : elle marie l’opérationnalité de l’ingénieur avec le savoir du scientifique écologue, le tout dans l’optique d’un respect croissant de la nature. Mais, s’il est de plus en plus utilisé, le terme ne recouvre pas toujours le même sens. Par ailleurs, les réalités sociales et scientifiques ont évolué. Il est alors pertinent de s’interroger sur l’adéquation de la définition historique du terme et la réalité actuelle. Peut-être même faut-il revoir cette définition et l’étendre.

Le terme d’ingénierie écologique émergea dans les années 60 sous la plume d’un écologue américain, Howard Thomas Odum : il fut d’abord formulé en termes de flux d’énergie, c’est-à-dire qu’il quantifiait l’échange d’énergie entre les différents compartiments d’un écosystème et l’utilisation d’énergie à l’intérieur de ces compartiments. Était qualifié d’ingénierie écologique tout aménagement, réalisation ou évaluation d’ingénieur dans lequel les flux d’énergie dépensés par l’homme étaient beaucoup plus faibles que les flux d’énergie mis en œuvre « naturellement ».
Ainsi, le fait de régénérer un peuplement forestier « naturellement » plutôt que de planter de jeunes arbres relève tout à fait de cette définition. De même, le traitement des eaux usées par des écosystèmes laissés en évolution naturelle est cohérent avec cette approche de l’ingénierie écologique. Plus philosophiquement, le concept se résumait comme un partenariat, une alliance [de l’humanité] avec la nature, puisqu’en ingénierie écologique l’homme compte essentiellement sur les dynamiques naturelles pour arriver à ses fins. Sous cet angle, cette conception de l’ingénierie écologique est proche de celle de naturalité.
Cependant, cette définition atteint aujourd’hui ses limites. En effet, elle ne rend pas compte de certaines demandes faites aux ingénieurs quand ils doivent mobiliser des connaissances en écologie, pour servir le maintien de la biodiversité par exemple. Il en va ainsi de l’évolution des modalités de la gestion forestière sur la côte nord-ouest des États-Unis en faveur de la chouette tachetée et de la biodiversité des forêts primaires tempérées. Dans ce cas, comme dans d’autres, les ingénieurs écologues peuvent utiliser comme principaux outils écologiques des notions tels l’habitat, le gradient écologique, la dynamique des populations, le risque d’extinction… autant de concepts qui n’ont, dans l’état actuel des connaissances, qu’un lien très ténu avec les flux d’énergie et de matière.
De telles considérations peuvent amener à proposer une définition plus large de l’ingénierie écologique. Elle pourrait être ainsi formulée : « la conception, la mise en œuvre et le suivi de la composante écologique d’un projet d’aménagement et/ou de gestion, pour le bénéfice de la société humaine, y compris de ses attentes en termes d’environnement. »
Par sa formation approfondie en écologie, l’ingénieur écologue essaiera le plus souvent de se positionner dans l’optique odumienne. Pour cela, il laissera le plus de place possible aux processus « naturels ». Cependant, il sera prêt à formuler des solutions peu « naturelles » si les raisons socio-économiques et écologiques sont suffisamment justifiées, assumées et cohérentes avec la notion de durabilité, en lien avec un code éthique. À titre d’exemple, il pourra être amené dans certains cas à maintenir artificiellement l’ouverture d’un milieu au profit d’une population particulièrement menacée et rare.

Pour de plus amples renseignements, consulter :
Ingénieries EAT, n° spécial 2004 (dont Gosselin F., « Pour une définition de l’ingénierie écologique plus intégrée avec le développement durable et avec l’écologie », p. 139-147) • http://www.afie.net