« Non. C’est la perte des valeurs du bien commun ».
Espaces naturels n°18 - avril 2007
Claude Dautrey
Responsable du service accueil communication au Parc national des Écrins
J’ai eu à mettre en œuvre, partiellement, des actions de mécénat avec IBM, ICI Sopra, Fondation Total… Ces timides initiatives ont toujours fait débat.
Elles touchent, en effet, aux fondements des Parcs nationaux, au caractère inaliénable des espaces naturels protégés et aux valeurs immatérielles que sont l’espace, le calme, l’air pur, le silence, la beauté, l’harmonie. L’espace protégé induit la reconnaissance d’un enjeu supérieur et le respect d’un ensemble de règles, à commencer par l’appellation de Parc national qui ne peut être utilisée à des fins publicitaires, commerciales ou marchandes.
En engageant un mécénat, on entre en contradiction avec ces principes, on écorne l’inaliénabilité des patrimoines et des valeurs d’un Parc national. Peu importe les précautions, engagements ou cahiers des charges que l’on s’imposera mutuellement. Engager les terres et mers protégées dans un mécénat les réinvestit dans des logiques classiques d’aménagement, d’urbanisation, d’industrialisation, de contrainte économique desquelles on les avait exclues.
Bien sûr, l’action bénéficiant d’un mécénat ne représente pas tout le Parc. Mais que penser du mariage d’image ? À l’heure de la mondialisation, quel groupe, quelle société peut garantir les valeurs qui animent semblable projet ? Ne vaut-il pas mieux moins faire, accepter de ne pas faire ou faire autrement, plutôt que de s’engager dans une relation qui ne peut qu’être aventureuse et qui peut devenir la règle ?
Le livre sur les Parcs nationaux aux éditions Gallimard, avec l’appui financier de la fondation Total, montre bien ce qui se joue. Éditer un ouvrage, sous l’égide de la fondation Total, c’est engager l’éthique de chaque Parc, de chaque salarié, et la valeur symbolique que porte tout citoyen aux Parcs nationaux. On fait un livre avec un éditeur-diffuseur si l’on en a les moyens ; sinon on ne le fait pas.
Ainsi, par exemple, les films pédagogiques réalisés avec ICI Sopra sont de bons documentaires, primés pour leur valeur pédagogique. Cependant, des questions légitimes placeraient enseignants et agents des Parcs dans l’embarras quant aux enjeux généraux exprimés dans ces films et que ICI Sopra ne contribue pas forcément à résoudre.
Si le partenariat avec les acteurs du territoire n’est pas si facile, il affirme pourtant une réciprocité d’intérêts autour d’un enjeu précis. Mais le désintéressement du mécénat est exorbitant. En n’attendant rien, le mécénat prend tout, c’est-à-dire les fondamentaux des Parcs. Des partenaires traitent d’égal à égal. Un mécène offre son protectorat financier de manière « désintéressée ».
Pour avoir participé à la mise en œuvre des mécénats, je me suis très souvent senti désigné par mes collègues comme celui qui ne respectait plus la règle de l’inaliénabilité des valeurs du patrimoine classé, quand ils en demeuraient les garants. Grave fracture qui peut conduire à l’éclatement.
Aujourd’hui, devant les pressions multiples auxquelles nous sommes confrontés, la seule attitude tenable est celle du respect des règles : pas d’artificialisation, pas de banalisation ; « total respect » pourrait-on dire avec un brin d’humour et pour ne pas paraître tout à fait hors du temps.