>>> Le Bois des Aresquiers (34)

Évaluation de la biodiversité de la végétation en forêt aménagée

 
Études - Recherches

Lamri Zeraia
Docteur ès-sciences, ingénieur, chargé de l’appui scientifique Office national des forêts.

 

Au Bois des Aresquiers, les choix de gestion forestière sont déterminés par les résultats d’un suivi scientifique. Sa particularité ? La simplicité de sa mise en œuvre. Ce suivi repose en effet sur la mesure de la biodiversité floristique présente dans le sous-bois. Au nombre des avantages : des résultats fiables obtenus à moindre coût.

A quatorze kilomètres de Montpellier, le site du Bois des Aresquiers s’étend sur 86 hectares. L’objectif sylvicole n’est pas axé sur la production ligneuse mais sur la préservation de la biodiversité et sur l’accueil du public. Le propriétaire du site, le Conservatoire du littoral 1, souhaite maintenir l’aspect paysager offert par une futaie de pins d’Alep avec un sous-étage de feuillus autochtones qui s’installent sous ces résineux.
L’ONF, opérateur technique, doit donc intervenir régulièrement, à bon escient et au bon moment. En effet, en l’absence de gestion sylvicole, la forêt (voir schéma, la série évolutive, page 24) évoluera naturellement vers un bois de chênes verts et pubescents, caractéristique des forêts méso-méditerranéennes.
Intervenir au bon moment est d’autant plus déterminant qu’une fois la chênaie mixte installée, il n’est plus possible de revenir en arrière (sauf incendie).
Pour savoir quand agir, le gestionnaire a mis en place une méthodologie pratique adaptable pour tout écosystème forestier. Sa simplicité est son atout premier puisqu’elle consiste à observer si oui ou non quatre espèces sont présentes, sur cinq placettes identifiées.
Le protocole
Dans un premier temps, le gestionnaire a pratiqué un suivi régulier de quinze placettes de vingt ares environ (elles seront réduites à cinq par la suite). Le protocole de suivi visait au comptage des espèces végétales et inventoriait les caractéristiques dendrométriques des arbres.
La méthode était lourde (et chère par voie de conséquence). Aussi, plutôt que de continuer à prendre en compte la typologie du peuplement de pins d’Alep, le gestionnaire eut l’idée de considérer la dynamique des groupements végétaux installés en sous-bois (ce travail a été réalisé par François Giraud et Ombelline Devaux sous notre encadrement scientifique). Autrement dit, plutôt que de regarder en haut, il porta son regard vers le sol pour identifier les espèces végétales installées sous les arbres. En effet, à chaque stade évolutif de la forêt correspond un groupement végétal particulier et précis qui évolue en fonction de l’âge du peuplement et des actions sylvicoles entreprises.
En identifiant les espèces végétales installées, il devenait possible de savoir à quel stade d’évolution se situait la forêt. Était-on toujours dans une typologie de pins d’Alep ou bien la forêt était-elle en train d’évoluer vers un bois de chênes verts et pubescents ?
La méthode
Prenant en compte les principaux stades de la série évolutive de la chênaie méditerranéenne, nous avons défini, pour le cas particulier de la forêt des Aresquiers, les cortèges floristiques qui leur sont associés.
C’est d’ailleurs ce que retrace plus précisément le tableau 1. Faisant état des relevés phytosociologiques, il met en évidence six groupes d’espèces qui vont permettre de cartographier la biodiversité de la végétation au bois des Aresquiers :
- espèces de la chênaie pubescente ;
- espèces de la chênaie verte ;
- espèces de la garrigue à chênes kermès ;
- espèces de la cistaie ;
- espèces de la pelouse dominée par le brachypode rameux ;
- espèces halophytes de la sansouire à
salicornes.
Cette méthode a l’avantage de simplifier le nombre d’espèces électives à suivre. En effet, un coup d’œil rapide à la liste des cortèges floristiques (p. 25), nous le confirme : le gestionnaire n’a que quatre espèces à surveiller (carex, chèvrefeuille des Baléares, fragon, viorne-tin).
Ainsi, la présence de la grande coronille ou du chèvrefeuille des étrusques indique le stade le plus évolué de la forêt (chêne pubescent). L’observation du fragon et de la viorne-tin indique le deuxième stade évolué, dominé par la chênaie verte. Dans un tel cas, on constate d’ailleurs que la futaie de pins d’Alep se ferme et que le pin se régénère très difficilement. La présence de telles espèces dans la forêt des Aresquiers révèle la nécessité d’une très forte éclaircie si l’on veut répondre au vœu du propriétaire de maintenir un paysage de pinède.
Par contre, les groupements de sous-étages constitués par les espèces de la garrigue, de la cistaie, favorisent une bonne régénération du pin d’Alep et restent défavorables à l’installation des espèces de l’association de la chênaie verte.
Après inventaire, les placettes sont alors cartographiées (carte). Elles sont réparties par type de groupement végétal de la série évolutive de la chênaie mixte qui commence à se réinstaller sous pin d’Alep.
Mesure de la naturalité
Il nous restait à finaliser cette méthode par une mesure chiffrée, nous permettant de savoir si nous étions réellement en présence de formations typiques d’un stade évolutif.
Nous avons donc appliqué (avec Jérôme Felissiak 2) l’indice d’intégrité photocénotique tel que défini par Noirfalise en 1984 (voir encadré). Cet indice mesure la représentativité de chaque formation végétale par rapport une formation théorique (les groupements sont de plus en plus typiques au fur et à mesure qu’on évolue vers le climax 3).
Pour évaluer le nombre P d’espèces potentielles sur le site des Aresquiers, nous avons pris les associations repérées par Braun Blanquet (1952).
Quant au le nombre R, il est défini par des relevés de terrain.
Nous avons alors mis en évidence le fait que :
au niveau de la chênaie verte, l’indice d’intégrité phytocénotique est relativement faible au stade garrigue à chêne kermès (IP = 22,80), elle augmente légèrement au stade évolutif suivant avec la présence de la viorne-tin (IP = 25). En revanche, elle accuse une augmentation rapide (IP = 33,03) au stade encore plus évolué avec la présence du fragon.
La valeur de cet indice éclaire donc le forestier sur la valeur patrimoniale du site. Il peut ainsi prendre des décisions éclairées en correlation avec ses objectifs sylvicoles.
Périodicité
Un relevé floristique complet doit être réalisé la première année. Il permet de comptabiliser les espèces à différentes saisons. Ensuite, la périodicité de suivi dépend de l’habitat concerné, des formations végétales présentes et des actions de gestion prévues.
Dans l’ensemble, pour une formation forestière gérée, on doit tenir compte de l’étendue des peuplements, des actions sylvicoles et, bien entendu, du coût.
Un relevé floristique simplifié peut suffire dans la mesure où il prend en compte, en priorité, des espèces indicatrices de l’évolution d’un groupement à l’autre, conçues dans la série évolutive. De plus, les espèces rares, signalées dans la zone d’étude, peuvent être recherchées. On profitera pour ce faire, du relevé réalisé en saison de végétation active.
La surface du relevé n’est ni limitative, ni exagérée. Elle répond aux conditions homogènes stationnelles du groupement étudié pour ne pas sortir de l’aire du relevé. Elle correspond à l’aire minimale dans laquelle les espèces du groupement végétal étudié ont été relevées.
Par ailleurs, il semble logique de solidariser la périodicité du suivi avec des prises de photos aériennes tous les cinq ans environ.

1. Le Bois des Aresquiers est propriété du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. Le gestionnaire du site est la Communauté d’agglomération de l’étang de Thau.

2. Jérôme Felissiak. « Contribution à l’étude de l’évaluation et de la cartographie de la biodiversité végétale en forêt aménagée : application à la forêt des Aresquiers (34) » - Mémoire d’initiation à la recherche - Université Montpellier II.

3. Le climax originel
est un « concept ». 
Il veut décrire l’état d’équilibre de la végétation une fois stabilisée du fait
d’un climat stable et de l’absence d’intervention humaine.