Sensibilisation

Être là où on ne nous attend pas

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Pédagogie - Animation

Emeline Bentz, Fondation pour la Nature et l’Homme,
Caroline Joigneau-Guesnon, Union nationale des CPIE, cjoigneau@uncpie.org,
Thierry Mougey, Fédération des PNR de France, tmougey@parcs-naturels-regionaux.fr

Les acteurs de l’environnement œuvrent chaque jour pour sensibiliser le plus grand nombre à la biodiversité. Mais comment touchent-ils les publics qui ne font pas la démarche de s’inscrire aux animations nature proposées, qui ne sont pas membres d’une association de protection de la nature… Bref, ceux qu’on ne croise jamais ! Comment sortir de notre « zone de confort » et du risque « d’entre soi » ?

À chaque étape du sentier « SensoRied » (1,5 km), l’expérience sensorielle est au service de la compréhension des milieux naturels du Ried alsacien et de leur histoire. © Riedmann

Face à ces questionnements, les acteurs sortent des sentiers battus pour faire de la sensibilisation à la  biodiversité en toutes occasions.

La technique la plus connue est sans doute celle du maraudage (voir article p. 45 du n° 53 de la revue). Le Parc naturel régional (PNR) du Massif des Bauges la met en oeuvre depuis 2014 grâce à des « guides nature écovolontaires », douze jeunes entre vingt et vingt-cinq ans qu’il forme pendant trois jours chaque année et qui vont, pendant un mois (juillet ou août), transmettre un message de sensibilisation à la biodiversité aux usagers de différents sites du PNR : un sentier touristique, un col, un refuge, des parkings à fort taux de remplissage… Jumelles, guides naturalistes et tenue « Guide nature du parc » sont mis à leur disposition.

Des jeunes connaissant bien les sites et les pratiques sont mixés avec des jeunes ayant des connaissances théoriques sur la protection de la nature et sur la sensibilisation. Ils sont nourris et logés, et sélectionnés pour leur capacité à aller au devant du public. Une courte séquence d'animation invite à regarder autrement le milieu traversé. Les guides échangent en moyenne avec vingt-deux personnes par jour. Il y a des lieux plus faciles que d'autres, par exemple le long de la rivière Chéran, les touristes viennent se rafraîchir, se baigner et sont moins sensibles à une rencontre avec les guides nature. Pour capter les gens, deux techniques : une longue vue pointée sur un animal et « d’où venez-vous, où allez-vous ? ». Les retours des touristes sont très positifs : « les animateurs nous ont permis de voir des choses que nous n'aurions pas vu sans eux ».

Le CPIE du Ried et de l’Alsace centrale a tenté l’aventure de se placer sur des points de vente (supermarchés, fêtes locales…), en accompagnement d'un producteur qui vend ses fromages, pour sensibiliser les consommateurs au lien entre la Tomme du Ried qu’ils achètent, les caractéristiques paysagères et environnementales du territoire où est produit le fromage (prairies inondables de l’Ill avec ses espèces inféodées : Courlis cendré, Tarier des prés…) et le mode d’exploitation et de production laitière mis en oeuvre (gestion extensive des prairies et fauche tardive). En quelques séances de présence dans l’un des supermarchés, ce sont deux-mille clients qui ont été sensibilisés, la plupart témoignant de leur intérêt de connaître l’origine des produits et leur lien avec l’environnement local.

Autre dispositif mené depuis plusieurs années par différentes structures, notamment le PNR Préalpes d’Azur : les ambassadeurs, qui vont à la rencontre des habitants, des visiteurs et acteurs locaux qui ne sont pas forcément sensibilisés à leur territoire et à ses richesses (dont le patrimoine naturel) et aux impacts de leur pratique sur cet environnement.

En Guadeloupe, l’association Kap Natirel travaille à la protection des tortues marines et de leurs habitats. Elle sensibilise notamment les usagers des plages à la problématique des déchets plastiques, mortels pour les tortues qui les ingèrent. Après avoir essayé les discours classiques « les déchets plastiques sont dangereux, ne jetez rien sur les plages, dans la mer… » , elle a tenté une approche au second degré visant à interpeller les gens : un tee-shirt avec le message « Sauvez une tortue, mangez un sac plastique ». Et cela a fait son effet !

Depuis plusieurs années, afin de toucher un vaste public, des festivals de musique français mettent en place des villages associatifs notamment avec des ONG environnementales qui sont invitées à proposer des animations grand public ludiques : land’art, ateliers de « do it yourself », quizz, défis photos… Par exemple, au festival américain Lolla Palooza qui s’est exporté à l’hippodrome de Longchamp à Paris en juillet 2017, le village associatif « Lolla Planète¹ » avait une place centrale avec des ateliers de création de baume à lèvre et de bandeaux de tête en tee-shirt recyclés de Pik Pik environnement² et des animations florales de Fleurs de Cocagne3.

Les Journées européennes du patrimoine, dans leur déclinaison française, ouvrent les portes également du patrimoine naturel et offrent l’occasion à un large public d’associer culture et nature : visite d’une ancienne carrière reconquise par la nature, patrimoine agro-pastoral, canaux et balade-nature sur l’entrée paysagère et richesse naturaliste… Un pas de plus dans l’appropriation de la notion de bien commun à préserver ! Le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a également mis en avant ce rapprochement nature/ culture lors d’une visite du centre de déportation à Bobigny avec une historienne et une écologue qui a pu faire découvrir aux visiteurs la richesse floristique de ce lieu laissé en friche. À 15 km de Tours, au château de Villandry, les trois-cent-cinquante visiteurs annuels ont droit, depuis quelques années, grâce à un partenariat avec la LPO, à une sensibilisation à la biodiversité : chants d’oiseaux, possibilité de voir une colonie de chauves-souris qui se reproduit dans les combles via une caméra infrarouge… Les 6 ha de jardins, de type Renaissance, sont classés refuge LPO et donc entretenus sans utilisation de pesticides chimiques.

On entend souvent, à juste titre, « ce sont toujours les mêmes bénévoles qui viennent aux chantiers nature, des gens convaincus, déjà sensibilisés... » Pour pallier cela, depuis le début des années 2000, le PNR des Caps et marais d’Opale fait appel à l’association Les Blongios, spécialisée en organisation de chantiers nature, pour organiser des chantiers avec des « groupes captifs » (leurs membres n’ont pas trop le choix !). Il s’agit de faire en sorte que des chantiers nature figurent dans les programmes d’activité d’un maximum de groupes d’habitants du territoire.

Les responsables des centres sociaux, comités d’entreprises, associations de randonneurs ou de pêcheurs, etc. sont ainsi démarchés. Par rapport à un chantier nature « classique » avec des « bénévoles demandeurs », un temps important est consacré à une sensibilisation générale à la biodiversité et à l’intérêt, pour la biodiversité, de l’action réalisée. L’aspect ludique est renforcé. Lors de chantiers nature avec des comités d’entreprises par exemple, si certains salariés peuvent présenter des réticences aux premiers abords (« Quoi, je vais devoir mettre des bottes et un coupe-vent devant mes collègues ?! »), les résultats sont toujours très positifs : satisfaction de faire une action utile avec ses collègues, détente, convivialité, tout le monde au même niveau… Tous les exemples décrits se rejoignent sur un point : plutôt que de vouloir faire venir le public à soi, il s’agit d’aller là où il se trouve !