Natura 2000

Est-ce que ça marche ?

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Gestion patrimoniale

Paul Rouveyrol, chef de projet espaces naturels, UMS Patrimoine Naturel, paul.rouveyrol@mnhn.fr

Évaluer un programme de gestion peut poser des difficultés à cause du manque de données, ou encore d'une définition peu précise des objectifs. Que donne, en l'état, l'évaluation des actions Natura 2000 ?

Réponses à la question : « Quelles sont pour vous les trois problématiques principales qui limitent l'efficacité des mesures ? » (enquête efficacité Natura 2000, juin 2016).

Réponses à la question : « Quelles sont pour vous les trois problématiques principales qui limitent l'efficacité des mesures ? » (enquête efficacité Natura 2000, juin 2016).

Savoir si un programme de conservation produit l’effet escompté sur les milieux naturels intéresse a priori beaucoup de monde : le gestionnaire, qui se demande s’il doit poursuivre ses actions ou les adapter, le décideur qui doit rendre compte de la pertinence de ses choix, le financeur qui souhaite juger si les budgets alloués ont été utilement dépensés.

Pour le réseau Natura 2000, la question relève aussi d’un engagement communautaire : les états membres se sont engagés sur un résultat, le bon état de conservation des espèces et habitats d’intérêt communautaire. Ils doivent montrer que les moyens mis en oeuvre permettent d’atteindre cet objectif. Mais comment, à l'échelle d’un réseau si vaste, et sur des enjeux si variés, faire le lien entre les mesures de gestion et leurs effets ?

Pour répondre à cette question, le plus évident est de s’adresser d’abord aux acteurs les plus directement impliqués : les animateurs de sites. Un premier travail bibliographique a en effet montré que le sujet était jusqu’ici insuffisamment traité dans la littérature scientifique, mais que la littérature dite « grise », rapports et autres documents non publiés, semblait plus prometteuse sur la question : au sein des sites, de multiples suivis de l’état de conservation des espèces et habitats d’intérêt communautaire, plus ou moins formalisés, se font en parallèle des mesures de gestion mises en oeuvre. C’est cette source d’informations qui a été explorée pour rechercher des premiers éléments de réponse.

QUE NOUS APPRENNENT LES SUIVIS RÉALISÉS ?

Les conclusions présentées ici se sont appuyées sur l’analyse de suivis naturalistes et d’enquêtes menées auprès des gestionnaires de sites. L’objectif était d’obtenir des données évaluant l’effet des mesures de gestion mises en oeuvre dans le cadre de Natura 2000 dans le but d’améliorer l’état de conservation d’un milieu ou d’une espèce donnée. Le travail a consisté à collecter des suivis naturalistes établissant un lien entre l’état de conservation de l’habitat ou de l’espèce et les actions menées. Pour ce faire, 825 gestionnaires de sites ont été consultés au sein de différentes structures : PNR, réserves naturelles, LPO, conservatoires…

Parmi les trois-cent-vingt-neuf documents recueillis, seuls cinquante-deux fournissent réellement des analyses par parcelle, pour un total de deux-cent-dix-neuf parcelles issues de cinquante sites. La majorité des suivis étudiés (93 %) concerne des habitats plutôt que des espèces. La plupart font l’objet de contrat MAEC1 (48 %) ou ni-ni (43 %). Les mesures les moins représentées sont celles des contrats forestiers (2 %), ou encore hors-contrats (prévues dans le docob, mais non financées par un contrat Natura 2000).

Cette analyse montre que les mesures semblent majoritairement efficaces (voir diagramme, ci-dessous) : 63 % des suivis concluent à l’amélioration de l’état de conservation de l’habitat ou de l’espèce visés suite à la mise en oeuvre de la mesure (sans cependant toujours établir de lien direct entre l’action menée et cette amélioration). Les contrats qui apparaissent comme les plus efficaces sont les ni-ni (77 %), peut-être parce qu’ils sont facilement adaptables au contexte dans lequel ils sont mis en oeuvre et qu’ils sont principalement mobilisés pour restaurer des milieux menacés de fermeture, donnant donc des résultats rapides et tranchés.

Les MAEC pour leur part présentent des résultats plus nuancés : 52 % des suivis concluent à une efficacité mais une part importante ne conclue pas voire montre une inefficacité sans que les causes d’insuccès soient clairement énoncées.

Ce faible niveau de documents conclusifs pour les MAEC pose question mais plusieurs faiblesses constatées dans les protocoles utilisés pour les suivis peuvent l’expliquer. Les MAEC constituent souvent des mesures d’entretien du milieu, dont l’effet est plus difficile à mettre en évidence que des mesures de restauration. Comment démontrer que le milieu aurait évolué différemment en l’absence de MAEC ? L’absence quasi systématique, dans les suivis étudiés, de parcelle témoin, comme celle d’état initial, ne permet pas de dépasser cette difficulté.

QUELLE PERCEPTION DES ACTEURS ?

Afin de préciser ces résultats et d’obtenir des éléments sur le contexte pouvant influencer les mesures, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès d’un échantillon d’animateurs de site. L’objectif étant de recueillir des retours d’expérience sur la réalisation des suivis et d’établir une comparaison entre les résultats opérationnels obtenus et la perception des acteurs de terrain.

Les gestionnaires interrogés jugent majoritairement que les mesures mises en oeuvre sont efficaces. Un tiers n’est cependant pas de cet avis, en invoquant principalement le caractère inadapté de certaines mesures et le manque de recul pour se prononcer sur leur efficacité. Globalement il ressort que les cinq ans de gestion inscrits au contrat sont insuffisants pour prétendre obtenir des résultats visibles.

Les acteurs rencontrés identifient plusieurs freins à l’efficacité des mesures Natura 2000 (voir nuage de mots ci-dessus) : les financements sont trop faibles et les remboursements des frais avancés trop tardifs, ce qui n’encourage pas les propriétaires à renouveler les actions. L’aspect administratif de la mise en oeuvre des mesures ressort également comme étant trop chronophage et complexe. Enfin, la difficulté à les pérenniser sur le temps long apparaît également comme un frien majeur.

VERS UN DISPOSITIF D'ÉVALUATION DE NATURA 2000 ?

La proportion élevée de suivis ne parvenant pas à conclure sur l'efficacité des mesures génère une interrogation : celles-ci sont-elles peu efficaces ou est-ce la méthode utilisée pour les évaluer qui est inadaptée ? Au regard des rapports examinés, la seconde hypothèse mérite d’être approfondie : l’étude a montré que, faute de temps, de moyens ou d’accompagnement, les suivis utilisaient généralement des plans d’échantillonnages insuffisamment robustes pour produire des résultats exploitables. Ce problème se pose particulièrement pour les MAEC, qui ont vocation à maintenir des pratiques et ne se traduisent pas par des modifications majeures du milieu.

Ce constat incite à prolonger la réflexion et à proposer un dispositif d’évaluation des mesures basé sur une définition claire des résultats attendus aux différentes échelles d’engagement (parcelle, sites, domaine biogéographique). Ce nouveau dispositif d’évaluation de Natura 2000 viserait à terme à rendre compte de l’effet, ou de l’absence d’effet, de la mise en oeuvre des mesures en identifiant et promouvant des protocoles de suivis pertinents et en définissant des indicateurs de réussite. Cette démarche pourrait prendre la forme d’un appel à projet financé, lancé auprès des gestionnaires de sites, et se concrétisant par la construction d’un réseau de sites de démonstration. La finalité visée étant de permettre, suite à l’analyse des données recueillies, de mettre à disposition des gestionnaires et animateurs des outils de suivi opérationnels permettant d’apprécier l’efficacité des actions engagées et de contribuer à améliorer l’état de conservation globale des habitats et espèces d’intérêt communautaire.

(1) Les contrats Natura 2000 permettent definancer des modes de gestion favorables aux espèces et habitats d’intérêt communautaire. On distingue les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) pour les milieux agricoles, les contrats forestiers, et les contrats « ni-ni », pour les autres milieux.