Afrique du Sud

Éradications insulaires : le jeu du chat et de la souris

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Vu ailleurs

Andrea Angel, leader du groupe de Travail « Albatros » et Nini Van der Merwe, chargée de mission internationale du programme « Conservation des oiseaux de mer », BirdLife International – Afrique du Sud (article paru dans African Birding, magazine de BirdLife Afrique du Sud, janvier – février 2017 – traduit et reproduit avec l’aimable autorisation de sa rédaction en chef.

Dans les îles du Prince-Édouard, véritables trésors écologiques de l'océan Indien, éradiquer les chats a révélé une nouvelle menace, celle des souris. Quelle est finalement la pertinence de ces programmes d'éradication d'espèces exotiques envahissantes pour protéger les oiseaux menacés ?

Les poussins d’Albatros hurleurs sont vulnérables aux attaques de souris, qui souvent leur sont fatales. © Ross Wanless

Les poussins d’Albatros hurleurs sont vulnérables aux attaques de souris, qui souvent leur sont fatales. © Ross Wanless

À quelques 2 300 km au sud-est de la ville du Cap, au milieu des célèbres quarantièmes rugissants, se trouve l’archipel du Prince-Edouard, qui comprend les îles du Prince-Édouard (45 km²) et Marion (290 km²). Découvertes par les Hollandais en 1663 et exploitées par des phoquiers à partir de 1803, elles ont finalement intégré l’Afrique du Sud en 1947.

D’un faible intérêt commercial, ces deux îles océaniques d’origine volcanique sont des trésors biologiques. Avec une richesse unique en biotopes, les îles du Prince-Édouard accueillent 90 % de la diversité en plantes supérieures, insectes et oiseaux de l’océan austral. Avec plus d’un million d’oiseaux de mer appartenant à vingt-neuf espèces1, dont 40 % des effectifs mondiaux d’Albatros hurleurs (classé vulnérable par l'UICN), ces îles devraient constituer un havre pour la biodiversité. Mais un mammifère invasif sur l’île Marion y fait obstacle : la Souris domestique.

En 1977, l’Afrique du Sud a mis en oeuvre sur Marion le plus ambitieux programme d’éradication des chats au monde. Après la démonstration que deux-mille-deux-cents félins causaient la mort de près de cinq-cent-mille pétrels effectivement chaque année, une campagne d’éradication fut lancée. Grâce à une diversité de tactiques incluant l’introduction de maladies, le piégeage, les tirs et le poison, l’île a été déclarée « sans chat » au bout de seize ans. On pensait alors définitivement écartées les menaces d’origine terrestre pour les oiseaux de mer. Hélas, comme dans l’île Gough (Atlantique sud), les souris de Marion ont développé une appétence pour la chair des oiseaux de mer.

En termes de conservation, les éradications insulaires ne sont plus considérées comme suffisamment novatrices. À ce jour, plus de huit cents projets d’éradication d’espèces (cochons, chats, lapins, cervidés et trois espèces de rats) ont été mis en oeuvre dans de nombreuses îles du monde entier. Les progrès de la recherche, les avancées techniques et l’implication des biologistes de la restauration incitent certains à considérer qu’aucune île n’est aujourd’hui trop grande pour en éradiquer les mammifères invasifs.

Les méthodes anciennes telles que la distribution manuelle d’appâts par des biologistes sur l’île de Mana (217 ha) au large de la Nouvelle-Zélande en 1989 appartiennent au passé. Aujourd’hui, on assiste à des projets d’éradication high-tech, multi-acteurs, conduites avec la précision de frappes militaires.

Désormais, avec ces technologies et de nouvelles expertises, nous sommes sur le point d’établir de nouveaux records. En juin 2016, BirdLife Afrique du Sud a publié son rapport « Éradication de la Souris domestique de l’île Marion : une revue de la faisabilité, des contraintes et des risques ». L’auteur, l’expert néo-zélandais John Parkes, y explique la nécessité et discute la faisabilité de cette éradication.

Il est établi que trois espèces d’albatros et au moins trois espèces de pétrels fouisseurs ont souffert d’attaques de souris, y compris le Puffin gris (quasi menacé) - dont la plus forte population niche sur l’île Gough où il est aussi menacé par les souris. Depuis la première mention d’une attaque sur le Pétrel bleu à la fin des années 1980 par Fugler, un nombre croissant d’attaques a été noté et on observe des signes inquiétants d’une augmentation de ces attaques. En 2015, on a estimé que 10 % des poussins de Puffin gris et des deux espèces d’Albatros fuligineux ont succombé sous la dent des rongeurs.

Des quarante-et-un projets insulaires ayant réussi à éradiquer les souris, les plus notables concernent l’île Macquarie (sud de l’Australie) et l’île Géorgie du Sud (Atlantique sud, projet de restauration d’habitat). Elles sont considérées comme des modèles en raison de la grande taille de ces îles, d’un environnement difficile et d’éradications pluri-spécifiques. L’île Gough est une autre île « à problème » qui a été proposée pour un prochain projet d’éradication. Une éradication réussie des souris de l’île Gough contribuerait grandement à l’acceptation d’un projet similaire pour Marion.

Au cours des dix dernières années, BirdLife Afrique du Sud, au travers de son Programme de conservation des oiseaux marins, a surtout cherché à réduire les menaces qui planent sur ces oiseaux du fait de la pêche en haute mer. Le groupe de travail « Albatros » a permis d’obtenir une chute de 99 % des atteintes portées aux albatros par la pêche au chalut.

Cependant, ces efforts resteront vains s’ils ne sont pas doublés d’efforts tout aussi conséquents sur terre. Faute de quoi, le retour de ces espèces à longue durée de vie et au faible taux de reproduction pourrait être hypothéqué et les conduire à l’extinction. Le Programme de conservation des oiseaux marins a donc étendu son mandat, et il travaille désormais avec la RSPB d’Angleterre, qui soutient son programme d’éradication sur l’île Gough. Cela pourra ensuite conduire à proposer un plan ambitieux pour éradiquer la dernière espèce invasive de vertébrés sur l’archipel du Prince-Édouard.

(1) Seul l’archipel de Crozet, autre groupe d’îles océaniques, contient davantage d’espèces nicheuses d’oiseaux de mer.