Mesures agri-environnementales

L’avenir est-il dans l’obligation de résultats ?

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Aménagement - Gouvernance

Christine de Sainte Marie
Ingénieure de recherche Inra
Rainer Oppermann
Directeur, Institut pour l’agroécologie et de biodiversité (Ifab) - Allemagne
 

Par la signature d’un contrat de mesures agri-environnementales, l’agriculteur s’impose des moyens à mettre en œuvre. Et si, plutôt, il s’engageait sur des résultats à atteindre ? Retour d’expérience…

Du point de vue de l’agriculture, les mesures agri-environnementales (1) (MAE, cf. encart) apparaîssent comme un succès. En revanche, leur effet positif sur l’environnement et la biodiversité est matière à débat. Dans les arènes européennes et internationales, on réfléchit à mettre en place des approches axées sur le résultat plutôt que sur les obligations de moyens habituellement requises.
Depuis plus d’une dizaine d’années, de telles mesures agri-environnementales innovantes sont expérimentées dans certains pays européens. Elles portent principalement sur les prairies et pâtures riches en espèces. Parmi celles-ci : la mesure Prairies fleuries, mise en œuvre dès 2000 par le Land (État) du Bade-Wurtemberg et dont s’inspire, en 2007, la mesure française basée sur l’engagement unitaire Herbe_07.

L’objectif de résultat est exprimé par la présence régulière d’au moins quatre plantes parmi une liste. Celles-ci doivent pouvoir être observées dans chacun des tiers de la parcelle contractualisée lors de sa traversée le long d’une diagonale. Il s’agit le plus souvent de plantes à fleurs, choisies en raison de leur valeur indicative de la qualité écologique des milieux herbagers et de leur facilité de reconnaissance par des non-spécialistes : agriculteurs, qui peuvent faire leur propre diagnostic, et contrôleurs.
Prairies fleuries est une mesure généraliste au Bade-Wurtemberg, où la MAE était contractualisée sur 49 600 ha et concernait 5 650 agriculteurs en 2010.
Depuis 2000, cette mesure a également été mise en place par quatre autres États allemands (Rhénanie-Palatinat, Basse-Saxe, Brandebourg, Thuringe) (2). 
En France, en revanche, la mesure a été ciblée prioritairement sur les sites Natura 2000.
En comparaison et selon les données du ministère de l’Agriculture, le bilan français apparaît relativement modeste avec 1 053 contrats et 19 300 ha contractualisés en 2011.
Ce bilan ne saurait cependant se limiter à la quantification du nombre de contrats. En Allemagne comme en France, la dynamique de la mesure Prairies fleuries s’appuie sur un dispositif d’accompagnement original qui en élargit significativement la portée : un concours d’excellence professionnelle récompense les agriculteurs dont les prairies présentent le meilleur équilibre agri-écologique.

Adhésion et réticences. Les retours d’expérience, de part et d’autre du Rhin, mettent en évidence une large adhésion des agriculteurs à la démarche Prairies fleuries. Ils apprécient le renversement des rôles par rapport à l’approche prescriptive des MAE standard. La MAE de résultat (MAE-R) revalorise la technicité et le savoir-faire de l’agriculteur en lui redonnant la responsabilité de ses choix et la possibilité d’ajuster ses pratiques à la variabilité des prairies et des années.
Plus encore que la MAE, le concours a contribué à la réhabilitation de prairies non-semées, que le discours technique dominant présente pourtant comme des surfaces peu productives.
Valorisée comme résultat d’une gestion performante, la biodiversité devient une composante à part entière du système de production agricole et même un motif de fierté professionnelle. Paradoxalement, les résistances les plus fortes par rapport à l’approche basée sur un résultat environnemental sont venues de professionnels de la conservation, habitués à travailler sur des unités de nature (espèce ou habitat) et à penser de façon statique.
Le débat autour de l’obligation de résultat se focalise sur le niveau d’exigence écologique de la MAE jugé insuffisant, notamment les listes conçues pour un ensemble d’habitats ou comportant des plantes qualifiées de communes comme le trèfle rouge ou certaines légumineuses.
Plus encore, la MAE-R entraînerait une dégradation des milieux rares ou remarquables car l’abandon des obligations de moyens inciterait les agriculteurs à « intensifier aussi longtemps qu’ils ne passent pas en dessous du seuil des quatre fleurs ». En revanche, le fait que la biodiversité des prairies puisse être dégradée par un régime de gestion statique, comme la fauche à date fixe, n’est pas mentionné.
Le recul apporté par l’expérience allemande, soumise aux mêmes critiques, suggère que celles-ci sont davantage l’expression d’une réticence à faire confiance aux agriculteurs que de faits établis.

Enjeux. En tout état de cause, il est   parfois plus simple ou préférable de mettre en place des MAE classiques. C’est le cas par exemple lorsque dans un milieu ou espace, la biodiversité est élevée et doit être préservée. En revanche, si l’on veut maintenir la majorité des prairies riches en espèces, dont beaucoup n’ont pas le statut de zones Natura 2000 ou de milieux selon la directive Habitats, les MAE-R devraient représenter une composante majeure du programme agri-environnemental :
• Tout d’abord parce que les agriculteurs savent, par expérience et par leur connaissance des spécificités locales, comment leurs prairies doivent être conduites pour maintenir une diversité d’espèces. S’agissant d’une mesure basée sur le volontariat, seuls les agriculteurs souhaitant maintenir les prairies semi-naturelles souscrivent à la MAE-R. Ils doivent y être largement encouragés, notamment par une rémunération adéquate.
• Les contrôles ensuite : il est démontré qu’il est plus facile et moins coûteux de contrôler un résultat que les obligations de moyens classiques, comme le respect de la date de fauche ou du nombre de coupes.
• Enfin et surtout, l’intérêt de cette approche positive pour une prise de conscience des agriculteurs de leur action sur la biodiversité qui justifie les paiements qu’ils reçoivent aux yeux de la société : la rémunération étant associée à un résultat, les agriculteurs comprennent pourquoi ils sont payés et ceci est primordial. Ils « remettent le nez » dans leurs prairies pour observer la diversité des espèces et suivre leur développement.

Partout ? Aussi importantes soient-elles pour le maintien des prairies riches en espèces, les MAE-R ne sont cependant pas applicables dans tous les domaines. C’est pourquoi les deux types de MAE sont nécessaires dans le programme agri-environnemental. Une des conditions de réussite des MAE-R est qu’elles soient, à l’avenir, éligibles dans tous les territoires. Une autre condition réside dans l’accompagnement des MAE-R par des actions qui modifient les normes professionnelles du « bon » agriculteur (et du « bon » naturaliste) en investissant le champ technique (conseil, formation).
Néanmoins, tant que le budget de la Pac continuera à être majoritairement consacré au premier pilier, même verdi, les MAE ne suffiront pas à inverser la tendance. •

1. Les MAE intéressent environ 35 % de la superficie agricole en France et 25 % de celle de l’Union européenne. • 2. À noter : une forme similaire de la MAE a aussi été développée en Suisse dans l’ensemble des cantons.