Trouver sa place dans un comité de gestion

 
La position de l’Onema dans les comités de sécheresse

Espaces naturels n°23 - juillet 2008

Études - Recherches

Rémi Barbier
Cemagref
Olivier Barreteau
Cemagref
Jeanne Riaux
Cemagref

Les agents de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques ont un positionnement difficlle à tenir au sein des comités de sécheresse. Résultat d’une enquête d’où il ressort, aussi, que la faiblesse structurelle est partiellement compensée par un fort engagement des agents.

Devant la pénurie de la ressource en eau, une nouvelle institution a vu le jour : le comité sécheresse. Celui-ci rassemble l’ensemble des acteurs (usagers, représentants, gestionnaires, administrations) et permet au préfet de prendre les mesures nécessaires1 face à la crise. Dans ce contexte, comment sont prises en compte les contraintes et exigences du milieu aquatique ? Engagée par le Cemagref, une récente enquête a permis d’éclairer les divers positionnements des acteurs dans la négociation au sein du comité de sécheresse et leur efficacité respective. Il apparaît ainsi que les représentants de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques2 (Onema) assument relativement seuls le portage des intérêts du milieu dans la gestion de la crise. Certes, les techniciens de rivière, animateurs de schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) ou de contrats de rivière les appuient quand ils sont présents, mais ce n’est pas toujours le cas. Quant aux associations de protection de la nature, elles semblent très peu impliquées dans le processus de gestion de crise. Face aux porte-paroles d’intérêts mieux structurés (profession agricole, industrie) ou protégés (alimentation en eau potable), le représentant de l’Onema se trouve placé de surcroît dans une situation de faiblesse structurelle.
Dans une négociation en effet, l’efficacité d’un porte-parole tient à plusieurs facteurs, parmi lesquels : la possibilité d’être présent là où les choses se décident ; le fait de disposer d’objectifs suffisamment opérationnels pour guider l’action ; la reconnaissance des intérêts défendus ; la robustesse des appuis cognitifs, normatifs ou coercitifs qu’il peut mobiliser.
Examinons ces différents points.
Le représentant de l’Onema semble souvent absent des arènes où se négocient les principaux éléments du dispositif de gestion de crise, à savoir en amont des réunions du comité sécheresse, entre l’administration préfectorale et les acteurs dominants, principalement l’agriculture. Par ailleurs, si l’objectif de l’Onema est clair (maintenir le bon état du milieu), sa traduction opérationnelle est éminemment difficile. La mise en avant de paramètres aussi complexes que la résilience du milieu, par exemple, permet de contester la pertinence de n’importe quel indicateur de crise.
Le représentant de l’Onema s’expose à être critiqué comme un défenseur acharné de l’environnement, un « ayatollah de la chlorophylle », prêt à prendre fait et cause pour de « petits poissons dont même le chat ne veut pas » et ce, au détriment des « agriculteurs désireux de continuer à vivre de leur travail ». L’enquête montre ainsi comment le concept sociologique de « rhétorique pseudo-humaniste3 » (pour reprendre le concept développé par Laurent Mermet) joue en sa défaveur. L’Onema a cependant des atouts, parmi lesquels les réseaux d’observation de crise des assecs (Roca). Ils permettent de rendre perceptible l’état de tel ou tel « chevelu » alors que l’étude classique (zonage et stations de mesure) de la Diren le laisse invisible. Mais, outre le fait que cette politique (coûteuse) de suivi des assecs semble dépendre des orientations propres à chaque département, les résultats ne sont apparemment pas exposés en réunion de comité. Les entretiens avec les agriculteurs montrent que ces données sont contestées : leur caractère qualitatif étant vite retraduit en subjectif.
L’Onema dispose certes de la possibilité de sanctionner, de dresser des procès-verbaux. Mais, dans les faits, compte tenu des rapports de force et du coût de montage d’un dossier « béton » (évitant contestations ou vices de forme), cette carte est délicate à jouer. Du reste, contrairement aux représentants des agriculteurs qui rendent compte à des mandants d’autant plus vigilants que leur survie économique peut en dépendre, les représentants de l’Onema ne « bénéficient » pas de cette épreuve de confrontation avec leur base : « Les poissons, eux, ne demandent pas de compte. »
Faut-il alors désespérer de la capacité de cette nouvelle institution à contribuer à une gestion réellement équilibrée de la ressource ? Pas nécessairement. Les appuis sociaux du souci environnemental ont tendance à se renforcer et, par ailleurs, les agents de l’Onema ont su faire évoluer leur discours : ils se présentent de plus en plus comme les « systémistes » du milieu, et le bon état général dont ils sont les gardiens peut prétendre devenir la clé de voûte de la pérennité de l’ensemble des usages, dont l’alimentation en eau potable. D’un point de vue institutionnel, le récent arrêté du 17 décembre 2007 fixant les relations entre la mission inter-services de l’eau (Mise) et l’Onema pourra, peut-être, renforcer la position de ce dernier.
Tout ceci sans compter que la défense du milieu repose aussi sur l’engagement des agents de l’Onema qui conjuguent un fort professionnalisme et une dimension vocationnelle affirmée : « C’est pour ça qu’on est entré là. »

1. Décret n° 92-1041 relatif à la limitation et à la suspension provisoire des usages de l’eau.
2. Établissement public administratif rattaché au ministère chargé de l’environnement.
3. « Deux arguments sont les piliers de cette rhétorique. Le premier consiste à présenter les initiatives des acteurs de la conservation de la nature comme des choix contre l’Homme, en faveur des petites fleurs ou des petits oiseaux. Le second attribue ces mêmes initiatives à des pouvoirs bureaucratiques et centralisateurs de Paris ou Bruxelles qui, sous couvert de préoccupations d’environnement, voudraient achever leur œuvre d’étouffement des sociétés locales rurales, traditionnelles. » Laurent Mermet, Homme ou vie sauvage.