Des sanctions pénales marquantes
Espaces naturels n°65 - janvier 2019
La Réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau est régulièrement victime d’importantes dégradations lors de rassemblements illégaux de musique techno. Le traitement pénal des infractions commises durant l’été 2017 peut servir de référence pour les parquets et les gestionnaires d’espaces naturels protégés.
Victime de son manque de visibilité, la nature de la Réserve naturelle des Coussouls de Crau fait régulièrement les frais de festivals de musique depuis sa création en 2001. Elle a ainsi subit deux rassemblements illégaux de musique techno en l’espace de deux semaines lors de l’été 2017. Le premier tecknival a rassemblé 5 000 personnes du 28 au 30 juillet, et le second, environ 20 000 personnes le week-end précédant le 15 août. Ces deux manifestations ont provoqué d’importantes dégradations dans un espace naturel protégé dont l’intérêt écologique et pastoral est reconnu à l’échelle nationale et européenne. Certains « teufeurs » contreviennent à la réglementation et pensent pouvoir agir en toute impunité, prétextant repartir en laissant le site comme ils l’ont trouvé à l’origine. La dernière rave party a fait l'objet d'un traitement pénal par le parquet de Tarascon, proportionné à l'ampleur des enjeux environnementaux. Si le tribunal de grande instance de Tarascon avait déjà rendu en juin 2013 une décision particulièrement soucieuse de la protection de cet espace naturel(1), Patrick Desjardins, procureur de la République de Tarascon a élaboré une réponse pénale encore plus innovante.
DES CONSÉQUENCES GRAVES SUR LA NATURE ET LE PAYSAGE
Au coeur de la Réserve naturelle des Coussouls de Crau, une surface d’environ 12 hectares a été touchée par le piétinement, les campements, la circulation et le stationnement des véhicules lors du premier teknival illégal, sans compter l’ouverture d’une piste sur près d’un kilomètre. Pour le deuxième teknival, cette surface s’est élevée à 45 ha environ sur la zone d’emprise directe de la manifestation. Les impacts sur la faune se sont étendus sur une surface plus importante encore : dérangement de la faune sauvage, destruction de nichées, prédation d’oiseaux et reptiles protégés par les dizaines de chiens observés lors de ce rassemblement, etc. Les surfaces jonchées de déchets et déjections à l’issue des rassemblements ont dépassé la centaine d’hectares. Le CEN Paca a dû déplorer des dégradations sur le bâti et les équipements : tags sur les bergeries et les panneaux du sentier d’interprétation de Peau de Meau. Ce sentier, propriété de la Fondation WWF-France, vise à accueillir le public et le sensibiliser à la faune et à la flore très particulière de la réserve, ainsi qu’à l’action bénéfique du pâturage des moutons. Jonché de quantité de déchets et d’excréments, il est resté fermé jusqu’au printemps 2018. Le 17 août 2017, les services techniques de Saint-Martin-de-Crau, la communauté de communes Arles-Crau-Camargue- Montagnette, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et le CEN Paca se sont donné rendez-vous pour nettoyer le site de la rave party du 15 août. Pas moins de 30 tonnes de déchets, dont 2 véhicules abandonnés, ont été enlevées. Mais si le plus gros des déchets a été enlevé, il reste encore d’innombrables mégots et débris de verre.
SENSIBILISER LES TEUFEURS
La médiatisation des conséquences de ces festivals illégaux sur un espace naturel protégé a provoqué de nombreux échanges au sein des réseaux des teufeurs sur « la toile ». Il y a ceux qui justifient le choix de la Réserve naturelle des Coussouls de Crau, et ceux qui dénoncent l’ineptie de cette décision et les comportements irrespectueux. Pour les défenseurs du deuxième tecknival, organiser un événement de cette ampleur en Crau en plein mois d’août, en moins de 48 heures, restait la meilleure solution, les risques d’incendie étant, selon eux, écartés sur ce vaste territoire dépourvu d’arbres. Ils remettent en question la valeur écologique du site en prétendant n’avoir vu aucune végétation ou espèce animale particulière. Par ailleurs, ils minimisent l’impact de ce rassemblement sous prétexte que la réserve a déjà subi maintes perturbations, comme la pollution aux hydrocarbures de 2009, ou sa proximité avec une base militaire, un aéroport, un complexe industriel, etc. « Une dégradation de plus ou de moins… » Fort heureusement, d’autres teufeurs semblent avoir pris la mesure de ces atteintes et regrettent que de telles manifestations aient eu lieu sur un espace naturel protégé, et que d’innombrables déchets aient été laissés sur place. Outre la communication auprès des médias, le CEN Paca a réagi en publiant sur sa page Facebook un diaporama sur la nature discrète et unique de la Crau à l’attention des teufeurs, dans l’espoir d’en sensibiliser quelques-uns.
LA DÉTERMINATION DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE
Une enquête a été diligentée par le parquet de Tarascon dès le début du rassemblement de Saint-Martin-de- Crau. Concomitamment, trois agents de la réserve naturelle, 375 militaires de la compagnie de gendarmerie d’Arles, ainsi que des gendarmes mobiles et des CRS se sont relayés sur le site pendant six jours. La stratégie d’enquête initiée par le parquet de Tarascon a été de relever et sanctionner l’ensemble des infractions, apportant ainsi une réponse pénale globale aux faits commis. Mille sept cent cinq procès-verbaux électroniques ont été adressés aux automobilistes présents dans la réserve, chaque propriétaire de véhicule a dû s'acquitter d’une amende de 338 euros. Par ailleurs, plus de 200 ordonnances pénales ont été rendues afin de réprimer les délits de conduite en état d'ivresse et conduite sous stupéfiants constatés à la sortie du teknival, entraînant des peines d’amende et de suspension de permis de conduire. Parallèlement, un drone ayant survolé la manifestation en violation de la loi a été confisqué à son propriétaire dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Enfin, 11 personnes ayant pris part de manière significative au rassemblement interdit - en apportant des murs de son sur le site protégé, en guidant les participants, en permettant une restauration sur place - ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel pour : (i) destruction d'une réserve naturelle : délit ; (ii) destruction de l'habitat d'une espèce animale protégée : délit ; (iii) circulation sur une voie non autorisée : contravention de 5e classe (jusqu’à 1 500 euros) ; (iv) organisation sans déclaration d'un rassemblement festif : contravention de 5e classe. Lors de l’audience solennelle de rentrée au tribunal de Tarascon à l’automne 2017, le procureur en a « [...] profité pour rappeler que toutes les infractions relevées lors du teknival de Saint-Martinde- Crau, "aux conséquences catastrophiques sur l’environnement", feraient l’objet de la part du tribunal d’une poursuite systématique et "extrêmement sévère" [...] ».
UNE RÉPONSE PÉNALE DISSUASIVE
L’audience au tribunal de grande instance de Tarascon a eu lieu le 13 février 2018. « Ces dix(2) prévenus ne sont pas responsables du saccage causé par 15 000 personnes. Mais ces dernières sont venues pour y entendre leur musique. Ils ont donc largement contribué aux conséquences de cette rave party », a argumenté le procureur Patrick Desjardins, avant de continuer : « Ce n'est pas le procès d'une jeunesse qui aime la musique techno, c'est celui d'une rave party organisée au mépris de l'environnement, du droit et des forces de l'ordre » a-t-il posé en préambule de ses réquisitions. Et le procureur de requérir à l'encontre de chacun des dix prévenus : 2 mois de prison avec sursis et 150 heures de travail d'intérêt général pour nettoyer la zone ainsi qu’une peine d’amende(3). De leur côté, les parties civiles – les gestionnaires de la réserve naturelle, les propriétaires des parcelles saccagées : WWF, CEN Paca, conseil départemental, mairie de Saint-Martin-de-Crau, association des pêcheurs Arles/Saint-Martin et association Agir pour la Crau – réclamaient plusieurs centaines de milliers d’euros de dommages et intérêts. En première instance, le tribunal correctionnel de Tarascon a rendu son délibéré le 3 avril 2018… Les prévenus ont été relaxés du chef d’organisation sans déclaration d’un rassemblement festif. En revanche, ils ont tous été reconnus coupables des autres infractions environnementales reprochées et condamnés à des peines significatives : 70 heures de travail d’intérêt général (TIG), 300 euros d’amende, et confiscation de l’ensemble des biens et objets saisis (sound systems). Les parties civiles se sont vu allouer différentes sommes au termes du préjudice moral, matériel et écologique (cf. tableau ci-dessous)... L 'affaire a été renvoyée sur les intérêts civils au 12 octobre 2018, concernant la commune de Saint-Martin-de-Crau, le département des Bouches du Rhône et les personnes condamnées.
(1) Cf. article « Rave Party : le gestionnaire en première ligne », Espaces naturels n° 44, octobre 2013.
(2) Seules dix personnes ont comparu le 13/02, l’un des prévenus étant décédé entre temps.
(3) Source : La Provence du 14 février 2018.