Les salins méditerranéens

 
pour préserver les milieux lagunaires
Vu ailleurs

Gilles Dessomme
Paludier à Guérande en phase d’installation

 

Les principes de production du sel sont très propices au maintien d’espaces à fort potentiel biologique. Les marais salants sont ainsi favorables au développement d’une vie intense, ils détiennent d’ailleurs les caractéristiques des zones humides.
La production de sel fait appel aux processus de cristallisation. Les eaux d’origine marine sont réparties dans des bassins, ce qui favorise leur évaporation et augmente la concentration des sels jusqu’à leur précipitation. Plus les surfaces sont importantes sur une faible épaisseur d’eau, plus l’évaporation par le vent et le soleil estival est efficace. C’est ainsi, que les apports réguliers d’eau de mer en période de sécheresse optimisent l’essor des chaînes trophiques des milieux lagunaires. Bien que le confinement des eaux dans les premiers bassins limite la biodiversité, la circulation des eaux dans des bassins disposés en série détermine un gradient de salinité et crée un éventail d’habitats fonctionnels pour nombre d’espèces. Les plus remarquables sont les espèces spécifiques aux milieux sursalés : halobactéries, algues roses, crustacés à la base mais aussi les oiseaux tels que les mythiques flamants roses. Plus de quarante-quatre marais salants (dont vingt-neuf encore actifs) sont classés comme sites Ramsar dans les pays du pourtour méditerranéen.
Salins, salines, marais salants, paludiers, sauniers, saliniers… la richesse des mots témoigne de la richesse des paysages ! Les valeurs biologiques des salines sont fonction des modes de production.
Salines primitives. Les salines primitives sont des salines de très petites surfaces (quelques milliers de mètres carrés), construites le plus souvent à même la roche. Les bassins sont peu différenciés (un bassin de stockage de grande profondeur pour quelques cristallisoirs). La récolte est manuelle. En raison de fonds rocheux et de leur surface extrêmement réduite, le potentiel biologique est limité. Leur intérêt réside plutôt dans leur aspect culturel et leur passé millénaire. Ces véritables musées vivants ne subsistent aujourd’hui que sur les côtes rocheuses de quelques pays du bassin méditerranéen, à savoir sur l’île de Malte, en Grèce et au Liban.
Salines artisanales. Les salines artisanales sont plus complexes. Chaque bassin est optimisé pour une tâche spécifique : bassins de stockage, bassins de décantation, bassins d’évaporation, bassins d’alimentation quotidienne des cristallisoirs et, bien sûr, les cristallisoirs eux-mêmes (œillets). Pour un groupe de cristallisoirs, une unité hydraulique ne dépasse pas quelques hectares. En revanche, un ensemble de salines peut recouvrir des zones de plusieurs milliers d’hectares (1 700 ha à Guérande, plus de 5 500 ha – quasiment abandonnés – à Cadix en Espagne). Les hommes ont dû ériger des ceintures de digues et poldériser les prés-salés (zone de schorre), où les terres étaient riches en argiles, pour édifier les salines. Les zones abritées, au débouché des cours d’eau, furent des sites privilégiés, là où la marée permettait un approvisionnement en eau sans dépense d’énergie (la façade atlantique et le nord de la mer Adriatique). La diversité des bassins, en termes de structure, de niveau d’eau et de salinité, crée tout un panel de situations favorable à une multitude d’organismes (chez les invertébrés tels que les vers marins, mollusques ou crustacés mais aussi chez les vertébrés tels que les poissons et les oiseaux).
Dans ce labyrinthe aquatique, un réseau complexe de canaux alimente chaque saline aux marées hautes de vives eaux. L’eau captée circule ensuite par gravité. Ce linéaire important permet la communication entre l’océan et la terre, et améliore ainsi les échanges de matières entre les milieux aquatiques et terrestres. Par son travail quotidien, le producteur de sel, gestionnaire de l’eau, est aussi le gestionnaire de l’espace. La très grande majorité des travaux s’effectuent à « l’huile de coude » : ce sel artisanal est un produit ayant une valeur économique (460 producteurs vivent du
sel en France, 35 en Slovénie, 70 au Portugal…) favorisant le maintien d’espaces d’une grande richesse naturelle, avec une consommation d’énergie minime et une production à faible émission de CO2 associée. La récolte manuelle du sel marin, multiséculaire, s’inscrit ainsi dans la modernité.
Salins industriels. Le pas de la mécanisation est franchi dans les salins industriels. Ils ont en général été construits récemment, à l’aide d’engin de terrassement. La récolte est mécanisée, l’eau est élevée à l’aide de pompes électriques ou thermiques, le sel est lavé. La consommation d’énergie fossile est importante. Le principe de fonctionnement hydraulique est similaire à celui des salines artisanales à une différence près : les volumes d’eau et les surfaces concernées n’ont rien de comparables ! De quelques centaines d’hectares à plusieurs milliers pour une seule saline… Pour exemple, le plus grand salin d’Europe, le salin de Giraud en Camargue avoisine les 11 000 ha d’un seul tenant ; la « saline di Margherita di Savoia » en Italie, 3 800 ha !
Ne nous méprenons pas, ce type de salin est aussi favorable au maintien d’écosystèmes lagunaires en Méditerranée. En effet, ils offrent un milieu peu profond, relativement prévisible malgré le climat méditerranéen. Leur intérêt réside surtout dans la présence d’une avifaune variée et nombreuse due aux quantités d’invertébrés qui s’y développent mais aussi à la tranquillité de ces vastes étendues peu fréquentées. Ils offrent une disponibilité des habitats d’alimentation et de nidification et revêtent donc une importance capitale pour la conservation de l’avifaune en Méditerranée.
Et demain ? De nombreuses mesures de protection ou de reconnaissance sont en place pour préserver ces milieux dans les pays nord-méditerranéens : Réserve naturelle, Parc naturel régional, site Natura 2000, site Ramsar, site classé et site du Conservatoire du littoral en France… Cependant, pour des raisons économiques, des sites ferment puis se dégradent. En outre, la pression de l’industrie des vacances est extrêmement puissante sur tout le linéaire côtier des pays traversés. Ils subissent alors les pollutions insidieuses des villes adjacentes (salin de Molentargius en Sardaigne). Pour laisser la place à l’expansion immobilière, des salins sont même tout bonnement déplacés, comme en Tunisie !
Après plusieurs années sans production de sel et en l’absence de gestion de l’eau, les salines sont bien moins attractives pour les espèces patrimoniales. Tenir compte du développement économique des marais salants et de la préservation de leurs qualités biologiques sera la clé de la pérennité des sites. Les fonctions de l’écosystème seront alors maintenues, le paysage entretenu, et ceci au moindre coût pour la collectivité.

En savoir plus
Les salins, entre terre et mer,
N. Sadoul, J.G. Walmsley et
B. Charpentier, Medwet/Station biologique de la Tour du Valat, 1998, 95 pages.
Hommes et paysages du sel,
J.Cl. Hocquet, Éditions Actes Sud, 2001, 191 pages.
www.seldeguerande.com
www.marais-salant.com