>>> Programme de surveillance continue

Les Réserves naturelles veillent sur les limicoles côtiers, voici pourquoi…

 
Études - Recherches

Emmanuel Caillot
Réserve naturelle nationale Domaine de Beauguillot - Sainte-Marie du Mont (50) Observatoire des limicoles côtiers RNF.

 

Abondants et fortement dépendants des écosystèmes estuariens et littoraux, les limicoles côtiers figurent parmi les prédateurs dont le suivi scientifique s’avère particulièrement judicieux…

Le programme de surveillance des limicoles côtiers s’apparente à une véritable veille écologique. À la fois parce que sa couverture géographique est représentative du littoral français mais aussi parce qu’il couvre la totalité du cycle annuel des oiseaux. Il enregistre les principaux paramètres qualitatifs, quantitatifs et spatio-temporels caractérisant les communautés de limicoles côtiers, étant ainsi susceptible de rendre compte des éventuelles modifications du milieu ; que celles-ci soient à caractère ponctuel (ouragans, raz-de-marée, marée noire…) ou s’inscrivent sur les moyen et long termes (« continentalisation » des systèmes estuariens et côtiers, effets du changement climatique…). Il permet également d’évaluer l’impact de ces changements sur l’état de conservation des écosystèmes littoraux. Autant d’informations précieuses pour l’État qui doit tenir des engagements vis-à-vis des conventions internationales et des directives européennes.
Le rôle important
des réserves naturelles
L’Observatoire des limicoles côtiers de Réserves naturelles de France vient de publier sa première évaluation1. Elle est basée sur les données mensuelles recueillies au cours de quatre cycles annuels (juillet 2000 à juin 2004). Notons tout d’abord une bonne représentativité nationale des effectifs recensés sur les quinze entités fonctionnelles. En effet, toutes espèces confondues, les stationnements enregistrés représentent 43 % des effectifs observés pour la même période et les mêmes espèces par la section française de Wetlands International (Mahéo, 2002 ; 2003 ; 2004)2.
Ces premiers résultats montrent également que les Réserves naturelles sont particulièrement importantes pour la conservation des limicoles ; elles jouent un rôle refuge majeur, plus particulièrement pour les espèces estuariennes (74 à 90 % des individus observés s’y remisent à haute mer). Parmi les douze taxons3 définis comme prioritaires en France, neuf d’entre eux dépendent étroitement du territoire national classé en Réserve naturelle. Les trois taxons restant : grand gravelot, bécasseau sanderling et tournepierre à collier, moins dépendants des Réserves naturelles, sont plutôt inféodés aux côtes ouvertes et aux littoraux où alternent platiers rocheux et petites plages caillouteuses (Mahéo et al., 2002), milieux faiblement représentés au sein des localités suivies par l’Observatoire.
Problématiques communes de conservation
L’analyse prend en compte l’importance numérique des stationnements (représentativité biogéographique) et identifie des assemblages d’espèces en utilisant une méthode statistique (AFC)4. Elle a permis de mettre en évidence qu’à chaque localité correspondaient des enjeux spécifiques mais qu’il était possible d’associer les sites dont les communautés présentent des similitudes. Cette approche par localité permet de mesurer géographiquement les enjeux de conservation. Elle permet également d’aboutir à un rapprochement des équipes gestionnaires concernées par les mêmes communautés, pour définir ensemble des stratégies communes de conservation prenant en compte les
exigences écologiques des taxons
« prioritaires ».
Par ailleurs, en proposant un éclairage sur la distribution et la phénologie des stationnements, étendu à l’ensemble du cycle annuel, l’Observatoire des limicoles côtiers peut contribuer à une meilleure définition du statut des espèces présentes sur le littoral français et permettre de préciser la variabilité saisonnière des enjeux de conservation. En s’inscrivant en complémentarité des travaux menés par la section française de Wetlands International (qui coordonne depuis 1977 le recensement des oiseaux d’eau au 15 janvier), la poursuite des suivis mensuels pourrait, en effet, se traduire par la définition de critères numériques susceptibles d’évaluer plus précisément l’importance du littoral français lors des stationnements migratoires, pour lesquels il n’existe pas actuellement de critères nationaux bien établis. L’attention pourrait se focaliser sur les limicoles essentiellement migrateurs et numériquement bien représentés, comme les barges à queue noire et les bécasseaux maubèches respectivement présents en février-mars et avril-mai sur le littoral français.
Élargir le réseau…
Par l’extrême complexité biogéographique de l’origine des taxons fréquentant le littoral français, par leur grande amplitude phénologique et leurs multiples exigences écologiques, les limicoles côtiers n’ont pas fini de susciter le questionnement des gestionnaires et du monde scientifique en général. Puisse cet Observatoire, par une synchronisation plus élargie des observations et l’augmentation sensible des données accumulées, apporter dans les prochaines années « sa pierre à l’édifice », en contribuant à une meilleure définition, spatiale et temporelle, des enjeux de conservation.

1. Caillot, 2005.
2. Auxquels nous avons pris soin de soustraire les effectifs de limicoles présents sur le littoral méditerranéen, zone géographique non couverte par l’observatoire RNF.
3. Unité de la classification zoologique ou botanique : ici, espèces ou sous espèces.
4. L’analyse factorielle des correspondances ou AFC est une méthode statistique qui permet la représentation sur un diagramme d’un ensemble composite d’individus dont on connaît un certain nombre de caractères.