Le congél... seule solution pour la biodiversité ?

Le point de vue du généticien

 
Autrement dit

L'anarchronique, le blog d'André Langaney
alanganey.blog.tdg.ch et www.lecourrier.ch
 

Stopper l'érosion de la biodiversité ? Ce n'est pas un objectif auquel croit André Langaney dans le système économique actuel. Bousculant nos schémas, il remet l'homme à sa place et l'engage à faire des choix stratégiques de conservation, reposant sur des critères vitaux autant qu'affectifs, esthétiques ou culturels.

Hors dogmes religieux, la vie est unique dans notre partie de l'univers, et liée à des conditions locales. Des conditions qui changeront avec l'extinction du soleil et la rendront alors impossible. L'histoire de cette vie est documentée par des événements géologiques, astronomiques, climatiques et écologiques, et par les mécanismes observés chez les êtres vivants. De cette histoire, on retient que :
Les formes de vie changent depuis toujours. Des espèces apparaissent, d'autres disparaissent. L'idée de « conserver une nature », qui ne cesse de changer est un mirage lié à la courte durée de la vie humaine. Au mieux, on peut guider certains changements, sous la contrainte de contingences incontrôlables.
Les êtres vivants forment des lignées d'espèces, plus ou moins bien définies dans le monde sexué, mal ailleurs. Chacune dérive d'une autre, contemporaine ou disparue. Chaque lignage a son histoire, dépendante de celles des autres, selon l'importance des hybridations, des transferts horizontaux d'ADN (mal connus et sous-estimés), et des interactions entre les lignages. Dans le monde sexué, les espèces changent à chaque génération. À long terme, les lignages s'éteignent, sauf une très petite proportion qui assure la persistance de la vie. Cet échantillonnage des lignages survivant aux événements du milieu a produit le relai des formes de vie des écosystèmes successifs. Les espèces actuelles sont une très petite partie du total historique. Elles sont destinées à disparaître ou à se transformer.

La continuité du processus vivant part de formes anciennes simples. Les fossiles suggèrent que les formes complexes dérivent toujours de formes plus simples. Ceci produit, en regard rétrospectif, une illusion de finalité, comme si la vie réalisait un projet de complexification, alors que cette dernière découle du processus historique. Ainsi, le regard subjectif des « origines de l'homme » peut faire croire à un processus orienté, téléologique, alors que l'histoire du vivant a produit l'espèce humaine banalement, parmi des millions d'autres.

Au cours des temps, des événements ont provoqué des extinctions de faune et de flore, laissant des échantillons biaisés des formes de vie précédentes, ce qui a conduit à des « radiations adaptatives » et à la recomposition d'écosystèmes dans les milieux déstabilisés. Parmi les causes de ces crises, on note la fabrication de l'oxygène atmosphérique par des plantes, des variations climatiques, des éruptions volcaniques, des impacts de météores et l'envahissement d'écosystèmes par des espèces invasives. Parmi ces dernières, l'espèce humaine contemporaine a eu un impact écologique majeur depuis le néolithique et le début de la déforestation, peut-être déjà avant, par les brûlis et la grande chasse.

UN PROJET DURABLE D'ORIENTATION DU VIVANT

La surpopulation humaine et la surconsommation s'étendent, du fait de la transition démographique et des cultes de la croissance et du développement. Elles provoquent une compétition des sociétés pour accaparer les ressources, faute de savoir partager. Cette situation n'est pas nouvelle, mais s'aggrave. Les compétitions pour les terrains de chasse, les terres agricoles, l'eau ou les « territoires culturels » n'ont cessé de provoquer des guerres et des conflits. On a pu imaginer que la mondialisation serait un cadre pour un partage non conflictuel des ressources. Mais c'est une utopie face à l'économie de croissance.

L'expansion humaine détruit très vite les écosystèmes non humains et leurs espèces inféodées. Grands mammifères, grands oiseaux, reptiles, amphibiens, arbres précieux, plantes et insectes rares sont en fort déclin et menacés, beaucoup, probablement, avant même d'être décrits et étudiés. Face à cette situation, les parcs et réserves naturels, les zoos et jardins botaniques sont les seuls espoirs de conservation d'échantillons de la biodiversité antérieure. Mais leur projet à long terme n'a rien de séduisant pour une économie qui ne connaît que le profit immédiat et se moque d'aller dans le mur. Les belles structures constituées sont exposées aux pressions de l'« économie précoce », sabordées par les braconnages, parce qu'elles concentrent des ressources précieuses, ou par la « rentabilisation ». Or une fréquentation trop importante est nuisible pour ce que l'on veut protéger. Je ne répéterai pas ici les cris d'alarme, si pertinents, des regrettés François Terrasson et Jean Dorst. Dans cette triste situation, avec peu de ressources et des enjeux planétaires, il faut évaluer ce que l'on peut conserver et se résoudre à faire des choix.
D'un point de vue scientifique, pour garder trace d'une espèce qui s'éteint, différentes méthodes sont possibles pour stocker des organismes et les connaissances qui vont avec (voir ci-dessous).

 

La première étape est la description scientifique complète et la constitution de bases de données intégrées, de l'imagerie et des spécimens naturalisés jusqu'aux échantillons, documents et données génétiques, écologiques et éthologiques. Pour les plantes domestiques, des banques de semences existent qui permettent, en théorie, la production de populations à la demande. Une procédure comparable est possible, mais coûteuse, par la cryogénisation de gamètes et d'embryons d'animaux si des mères porteuses sont disponibles. Un troupeau de vaches prend moins de place en tubes, dans l'azote liquide, que dans une prairie ! On peut imaginer des systèmes semblables pour les espèces sauvages, mais on serait vite débordé par l'ampleur du projet. De plus, ce mode de conservation rejoint les inconvénients des zoos traditionnels où rien n'est conservé de l'écologie d'origine de l'espèce, peu de sa diversité ou, pour les animaux, de la culture et des comportements « sauvages » qui permettent la survie dans la nature.

La conservation totale de la nature face à dix milliards d'humains est une mission impossible et absurde. Un projet cohérent serait une gestion mondiale des ressources naturelles, prenant en compte les nécessités humaines, la possibilité d'écosystèmes durables face aux « pressions économiques », les ressources génétiques potentielles, l'intérêt scientifique et les raisons culturelles, affectives et esthétiques de conserver ce à quoi nous sommes le plus attachés. Ce qui suppose, à coup sûr, des priorités et des choix politiques improbables aujourd’hui…