Écologues de la restauration

De piètres faussaires

 
Le courrier

Thierry Dutoit
Professeur à l’université d’Avignon et directeur-adjoint de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie. Brice Quenouille
Chargé de mission Caisse des dépôts et consignation biodiversité.
 

Dans le numéro de janvier (n° 29) de la revue Espaces naturels, Virginie Maris, Raphaël Mathevet et Arnaud Béchet signaient un article intitulé « Les figures de style de la destruction de la biodiversité ». Réactions à ce point de vue…

Thierry Dutoit.
Qu’il s’agisse de restauration ou de réaffectation, à aucun moment les chercheurs n’ont la prétention de savoir restaurer l’ensemble des composantes et fonctionnalités des écosystèmes. En effet, les évaluations disponibles actuellement sur de telles opérations montrent que tous les objectifs n’ont jamais été atteints. Par contre, ces opérations ont permis d’augmenter significativement la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des nouveaux écosystèmes. De plus, la nature réhabilitée (comme c’est le cas pour le verger de Cossure), restaurée ou réaffectée n’est pas plus artificielle à long terme que la plupart des espaces naturels gérés et protégés en France. En effet, dans leur grande majorité, ceux-ci sont eux-mêmes issus de la pratique multiséculaire de certaines formes d’exploitations agricole, forestière, artisanale, voire industrielle (prairies de fauche, parcours, bocages, étangs, carrières, etc.). Dans les deux cas, la richesse et la diversité des réponses adaptatives du vivant a pour conséquence un effacement des actions anthropiques initiales (semis, plantations, transfert d’espèces, etc.). Ainsi, à plus ou moins long terme, la biodiversité est et y sera spontanée. La naturalité, notion toujours subjective, est également prise en compte dans le cadre d’opérations de « restauration passive » ou de « laissez faire la nature » tout aussi justifiables en fonction des écosystèmes de référence choisis.

Brice Quenouille
Les dispositions juridiques nationales et communautaires encadrant les atteintes à la biodiversité ne parlent pas de « compenser ». Elles demandent de suivre une démarche hiérarchisée visant à, d’abord, éviter les impacts, puis à réduire ceux qui ne peuvent être évités et, enfin, à compenser les impacts résiduels. La différence est essentielle.
Si l’impact d’un projet d’aménagement n’est pas acceptable, il ne doit pas être autorisé. En revanche, lorsqu’un projet l’est, tout ce qui est nécessaire pour réparer ses conséquences dommageables sur les milieux naturels doit être mis en œuvre.
Nous vivons ce que les auteurs du récent rapport sur l’approche économique de la biodiversité1 ont appelé une « redécouverte de la compensation ». Bien que prévue par le droit français depuis 1976, la compensation a en effet vécu recluse, n’apparaissant que pour de grandes occasions.
Si cette redécouverte signifie que, dorénavant, il ne sera plus permis d’autoriser une atteinte à la biodiversité sans prévoir sa réparation complète, alors nous ne pouvons que nous en réjouir. Il faut pour cela que la compensation progresse sur des problématiques propres, qui restent mal résolues. Celle de l’équivalence écologique est probablement la plus difficile et (contrairement aux auteurs de l’article) nous ne sommes pas capables de déterminer ce qui, entre préserver un habitat existant (action générant une faible additionnalité) et conduire un programme de restauration ou de reconquête d’habitats (dont la forte valeur additionnelle attendue reste conditionnée à son succès) serait la meilleure compensation.
Cette problématique nous renvoie à notre compréhension encore partielle des réponses des écosystèmes aux perturbations d’origine anthropique, qu’elles soient négatives ou positives.
L’étalon de la compensation est donc bien écologique et non monétaire. Il ne s’agit pas de donner un prix à la nature, mais de se doter des moyens scientifiques, techniques et financiers lui permettant de poursuivre son évolution.

1. Évaluation économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes : contribution à la décision publique, Bernard Chevassus-au-Louis et al., Rapport du CAS, 2009.