Prix ou valeur ? Quelle relation ?
Espaces naturels n°30 - avril 2010
Jean-Michel Salles
Directeur de recherche CNRS, UMR Lameta
L’évaluation économique de la biodiversité, des écosystèmes ou des espaces naturels suscite un large intérêt et de multiples questions.
La plus récurrente concerne la relation qui pourrait exister entre la valeur des écosystèmes et la mise en place de processus et méthodes permettant de transformer cette valeur en prix. Mais sur quoi se fonde-t-on ? Et, finalement, quelle est la relation entre la valeur et le prix ?
La question est complexe.
Appréhendons tout d’abord la valeur. Les écosystèmes ont une valeur sociale, elle reflète les multiples usages dont ces milieux sont l’objet. Ceux-là sont souvent présentés comme l’ensemble des services que les milieux fournissent et qui peuvent se décliner en biens de consommation, ressources productives, espaces récréatifs, sources d’aménités (voir glossaire p. 27), intérêts esthétiques, espaces d’exploration scientifique ou sources d’inspiration.
Traduire cette valeur sociale en valeur monétaire, c’est prendre en compte les différentes raisons qui fondent l’intérêt de préserver ces milieux. Autrement dit, c’est se poser la question : que perdrait la société si ces milieux disparaissaient ?
Ainsi lorsqu’il existe un marché, les prix traduisent l’état des tensions entre l’offre et la demande de biens environnementaux. C’est le cas par exemple si l’on observe le prix d’une chambre d’hôtel que l’on peut mettre en relation avec la valeur du paysage. Les prix peuvent donc parfois refléter les valeurs, lorsque de multiples conditions sont réunies. En revanche, c’est peu vraisemblable dans le cas de services liés aux écosystèmes dont nous bénéficions le plus souvent gratuitement. Pour exemple, l’air d’une forêt a une valeur en termes de santé publique mais il sera peu aisé de lui donner un prix.
Reste alors à savoir à quoi sert de faire le lien entre prix et valeur ?
L’évaluation monétaire a le mérite de donner des éléments de référence. Dans un contexte de raréfaction des espaces naturels, elle permet d’éclairer les choix, de définir des priorités entre les multiples usages, parfois incompatibles, des écosystèmes.
On ne peut nier cependant que la transformation des services écosystémiques en services marchands n’est, le plus souvent, ni souhaitée, ni possible (lorsqu’ils ne sont pas appropriables ou lorsqu’ils sont mis à l’écart du commerce pour des raisons légales). Par ailleurs, cette transformation en services marchands présuppose d’accorder des droits exclusifs sur les actifs naturels. Le choix de ces ayants droit ne va pas sans problème et traduit implicitement une certaine conception de l’équité sociale.
Afin de maintenir des écosystèmes en bon état, une agence publique pourrait mettre en place des subventions ou des taxes, plus ou moins équivalentes à des prix (comme pour certaines mesures agri-environnementales). Prix qui traduisent alors des valeurs politiques, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles le législateur a opéré des transferts de revenus et l’idée qu’il se fait des coûts des objectifs poursuivis.