Nature Intouchable ou civilisée

 

Espaces naturels n°7 - juillet 2004

Édito

Emmanuel de Guillebon
Directeur régional de l’environnement de la Région Auvergne.

Les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité. L’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel. 1

Est-ce parce que le Paradis terrestre était peuplé d’arbres ? Est-ce parce que depuis son apparition dans nos contrées, l’homme a dû lutter contre la forêt et l’utiliser pour s’établir ? Si, en Europe de l’ouest, la question de la forêt mobilise autant le cœur que la raison, c’est sans doute parce qu’elle procède des deux. Ressentie comme espace de liberté, de nature et de mystère, siège de peurs ancestrales et de légendes, elle est aussi au cœur du développement et de l’activité humaine, abritant l’homme du berceau au cercueil.
Parler de la forêt renvoie chacun de nous, professionnel compris, à son rapport personnel à la nature : une nature déifiée, intouchable donc, dont nous devrions respecter les lois parce qu’elles nous dépassent, et participent d’un ordre supérieur ? Ou une nature civilisée, que nous exploiterions pour notre bénéfice, que nous souhaiterions encadrer et réguler ? Entre ces deux extrêmes, comment nous situons-nous ?
Certaines forêts ont un fort potentiel de biodiversité, en matière de gènes, d’espèces animales et végétales et de milieux : leur conservation est un enjeu fort pour l’avenir de l’homme et de la planète.
Mais la forêt est aussi source de matériaux et d’aménités qui répondent aux besoins légitimes de l’homme. Doté d’intelligence et capable de réflexion, il possède la capacité d’intervenir vite et fort, quitte à modifier ou détruire des systèmes fragiles ; cette intervention peut conduire à une perte de biodiversité. S’il a sa place dans l’écosystème forestier, celle-ci est particulière, et s’accompagne d’une responsabilité spéciale.
Cette responsabilité lui impose de connaître et respecter les mécanismes de fonctionnement de la forêt (comme d’ailleurs de l’ensemble des espaces naturels), ce qui garantira le maintien de la richesse patrimoniale.
Chaque forêt, quelle que soit la façon dont l’homme l’a traitée, peut être comparée à un modèle naturel de référence : une forêt qui serait « vierge de toute intervention » (forêt dite « primaire » qui n’existe pratiquement plus en Europe occidentale). Le gradient entre l’état actuel de la forêt et ce modèle représente le degré de naturalité de la forêt.
Conserver des forêts sans intervention humaine permet de les utiliser comme témoins, et de comprendre leur fonctionnement : par vocation les « espaces protégés » s’y prêtent bien. D’autre part les conclusions obtenues permettront de raisonner des principes applicables à l’ensemble des forêts « ordinaires ».
Le débat souvent passionné visant à opposer forêts « naturelles » et forêts « cultivées » doit être dépassé au profit d’une complémentarité : il nous faut des forêts de référence (gérées avec pour objectif l’optimum de naturalité) et il nous faut des forêts respectées dans leur fonctionnement et qui répondent à nos enjeux de développement : on peut poser pour hypothèse que, plus leur naturalité sera forte, plus leur diversité sera riche, plus elles seront durables.

1. Charte de l’environnement, considérants 1 et 2