Faire ressentir pour partager
Espaces naturels n°4 - octobre 2003
Catherine Cayre
Parc naturel régional des monts d’Ardèche
Parmi les outils de valorisation des sites naturels, l’interprétation du patrimoine, formalisée par Freeman Tilden aux États-Unis en 1957, est l’un des plus riches et des plus difficiles à appréhender. Toutefois, quelle que soit la définition que l’on en donne, l’interprétation est intimement liée à la communication. Dans ses objectifs tout d’abord, puisque, pour Tilden, il s’agit d’une activité éducative visant à communiquer aux visiteurs la compréhension et le respect du patrimoine naturel protégé dans les parcs nationaux. Derrière toute interprétation, il y a l’idée de « créer des liens » entre le visiteur et ce patrimoine. Or, « établir une relation » est l’objet même de toute communication. Ensuite, parce que l’interprétation introduit la sensibilité et le ressenti dans la découverte
L’interprétation propose une approche par le ressenti et l’émotion, de l’interprète comme du visiteur. Elle repose sur l’idée que l’on peut faire partager à l’autre son enthousiasme et sa passion pour un patrimoine, et que ce partage n’est possible que si l’on parvient à toucher le visiteur dans sa sensibilité et son vécu.
Le postulat de base est le suivant : en établissant une relation forte, fondée sur le ressenti et la compréhension d’un patrimoine, l’interprétation peut faire naître chez le visiteur un sentiment de respect et d’attachement, et l’amener à partager et s’approprier les enjeux de préservation de ce patrimoine.
Une expérience sensible
Pour y parvenir, l’interprète va tâcher de se relier à la personne du visiteur de différentes manières. Tout d’abord, en se basant sur le vécu de ce dernier, sur ce qu’il connaît déjà, c’est-à-dire en se référant à son expérience quotidienne. Ensuite, en faisant de l’activité d’interprétation une expérience sensible qui permettra au visiteur de s’impliquer dans cette découverte.
L’interprétation fait appel à différents moyens permettant cette approche par le ressenti : l’utilisation de tous les sens (toucher, goûter, sentir…), l’introduction de la subjectivité (faire parler par exemple tel ou tel acteur du terrain, passé ou présent), l’expression artistique sous toutes ses formes, l’expérience du contact direct, de la mise en situation, etc.
Réconcilier deux façons
de connaître
Le contenu même du message que l’interprétation se propose de faire passer est défini à partir de ce que l’on ressent sur le site qui est interprété : c’est ce que les différents auteurs ont appelé « l’esprit des lieux ».
Sans référence à une quelconque mystique religieuse, il s’agit tout simplement de s’inspirer de ce qui émane de l’endroit, de ce qu’il dégage comme sensation première, en partant du principe que tout le monde est susceptible de ressentir et percevoir cela. Le premier travail de l’interprète va donc être de restituer et d’exprimer ce ressenti, point de départ de la démarche d’interprétation.
Pour évacuer toute ambiguïté, il convient de préciser que cette utilisation du ressenti n’est pas une fin en soi. Elle est une porte d’entrée pour amener aussi une compréhension intellectuelle, et cette fois objective, du patrimoine en question. Car si l’interprétation choisit l’entrée par l’émotion et la sensibilité, elle se fonde tout autant sur une base de données scientifiques que l’interprète met en forme, comme un metteur en scène de théâtre.
Loin d’opposer deux approches, l’une purement rationnelle et l’autre complètement subjective, l’interprétation propose justement de réconcilier deux façons de connaître en considérant l’être humain comme une globalité. Nous utilisons tous en effet une double connaissance du monde : l’une intuitive, affective, subjective, l’autre intellectuelle, rationnelle, objective.
L’interprétation a l’ambition de s’adresser aux deux, se situant délibérément entre le cœur et la raison.