Tribune

Enjeux globaux, actions locales. Contradictions...

 

Espaces naturels n°43 - juillet 2013

L'entretien

Lucien Chabason
Président du Plan Bleu, Enseignant politique internationale de développement durable à Sciences Po.

 

Un adage répandu dans le monde de l’environnement, « penser globalement, agir localement », donne à penser qu’il existerait une sorte de continuité naturelle entre le global et le local. Le développement des politiques énergétiques depuis l’émergence de la question climatique montre qu’il n’en est rien. La priorité donnée à l’essor des énergies renouvelables non émettrices de GES (en particulier l’éolien terrestre et offshore) est un acquis du Grenelle. Comme l’hydro-électrique, le développement éolien caractérise bien l’opposition global/local.

On le voit dans la difficulté à mettre en œuvre les parcs éoliens terrestres du fait d’une législation hésitante et mouvante, mais aussi de fortes oppositions locales en particulier dans les régions où le paysage a une très forte valeur patrimoniale (littoral, Provence intérieure, hauts plateaux du Massif Central...). L’industrie de l’éolien, agissant comme n’importe quel lobby économique, s’est efforcée d’obtenir des dérégulations législatives. Cela ne peut que renforcer les contestations des tenants du paysage qui peuvent, par ailleurs, s’appuyer sur le droit international relatif à la biodiversité protégeant en particulier les oiseaux et les chauves-souris. Curieusement, cette valeur paysagère, localement défendue avec ardeur et qui apparaît dans les Schémas régionaux climat-air-énergie, est peu portée au niveau national par des associations écologistes, lesquelles donnent priorité aux questions globales, et est mal assumée par les ministères.
On a tôt fait de considérer les associations locales comme instrumentalisées par le secteur nucléaire, ou défendant des intérêts égoïstes. Mais on a tort de minimiser la valeur paysagère dans les politiques environnementales, ce qui finalement amène aux juges beaucoup d’affaires où le paysage n’a pas été considéré à sa juste valeur.
Ces contradictions enjeux globaux/
conséquences locales trouveront également à s’exprimer lorsque viendra le moment de la mise en œuvre du Schéma décennal de développement du transport d’électricité. Celui-ci prévoit, en relation avec le développement des parcs d’énergie renouvelable, la construction d’un millier de kilomètres de lignes THT 400 kv et le réhaussement à 400 kv de 2 000 km de lignes existantes.
Enfin, il va falloir amener à la côte le courant produit par les futurs parcs offshore. Et donc rechercher de l’espace naturel juridiquement acceptable, en dehors des zones urbanisées, des sites protégés par la loi Littoral (art. L.146-6) et la loi de 1930, des propriétés du Conservatoire du littoral ou celles acquises par les départements grâce à la taxe des espaces naturels sensibles ! Une lourde tâche en perspective !!
La difficulté que rencontre l’Allemagne pour évacuer l’électricité produite en Mer du Nord et qui suppose la construction de 3 500 km de ligne à haute tension en direction du sud devrait donner également à réfléchir.

Curieusement, alors que les difficultés en vue de réaliser le programme d’énergies renouvelables se sont accumulées, peu est fait pour mettre en œuvre l’objectif d’efficacité énergétique, notamment dans le parc de logements anciens, dans les bâtiments publics et les immeubles de bureaux. La réserve d’économie d’énergie est pourtant considérable. Le logement et les bureaux représentent 44 % de la consommation finale d’énergie avec 55 % de logements construits avant toute réglementation thermique. On touche là aux perversions des politiques publiques : contre toute rationalité, le développement des énergies renouvelables a reçu une attention infiniment plus grande que l’efficacité énergétique.
Tout d’abord, parce que la pression exercée par les industriels et financiers sur les pouvoirs publics est plus forte dans le secteur des renouvelables (bien organisé) que dans l’amélioration du parc de logements anciens, beaucoup moins perceptible en termes d’organisation professionnelle et de lobbying politique.
Ensuite, d’un point de vue politique, il est plus valorisant de lancer un parc d’éoliennes offshore ou des plateformes portuaires de construction de pales que de financer l’isolation thermique d’un parc HLM ou d’une université.
Enfin, l’intervention sur le parc de logements anciens suppose des discussions avec des interlocuteurs multiples, là où l’éolien ou le solaire ne demandent que des permis et des tarifs de rachats généreux. Avec la Contribution au service public de l’électricité, on a mis au point au bénéfice des énergies renouvelables­ une martingale qui n’existe pas dans le domaine de l’efficacité énergétique, une raison majeure du déséquilibre entre ces deux approches.
Pourtant, l’isolation thermique du parc ancien présente un grand intérêt. Intérêt écologique (pas d’impact négatif) ; intérêt économique dans le secteur de l’artisanat et des matériaux isolants ; intérêt social, avec les emplois liés à ces branches, répartis sur l’ensemble du territoire, et avec la maîtrise des consommations énergétiques des ménages. En définitive, une véritable illustration des valeurs du développement durable.
Bref, reconsidérer l’ensemble des enjeux environnementaux quelle qu’en soit l’échelle, les évaluer, discuter leur pertinence et en tirer des conclusions fait aussi partie du grand débat sur la transition énergétique. •

Lucien Chabason a été directeur du cabinet du ministre de l’Environnement Brice Lalonde, auteur du plan national pour l’Environnement qui a abouti à la création de l’Ademe en 1991 puis responsable du secrétariat de la convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée aux Nations Unies. Il a présidé le PN des Cévennes.