Vercors

Trouver les chemins de l’eau souterraine

 

Espaces naturels n°43 - juillet 2013

Le Dossier

Baudouin Lismonde
Spéléologue, Membre du comité scientifique du PNR Vercors et de RN Hauts Plateaux

 

Des questions comme la pollution, la contamination des ressources en eau prennent de l’importance... Pour connaître les chemins de l’eau, s’adjoindre le concours d’hydrogéologues, de spéléologues, de géologues... Exemple dans le Haut-Vercors.

Pour qui gère un espace naturel, il est utile et simple de connaître les chemins de l’eau, des cours d’eau. Google Earth suffit largement pour ce faire. Dans les régions calcaires cependant, les régions karstiques comme on dit, c’est une tout autre affaire.
Prenons l’exemple des Hauts plateaux du Vercors (réserve naturelle), la photo aérienne ne révèle que rochers nus, forêts maigres, pelouses bien grillées à la fin de l’été. Mais où passe l’eau de la pluie  ?
On connaît le principe. L’eau s’infiltre par les fissures de la roche, s’enfonce sous les prairies, et sous les arbres. Elle part pour un voyage inconnu dans les ténèbres, dans les profondeurs du calcaire, par un cheminement qu’elle a trouvé, agrandi elle-même vers un point de sortie au débouché du calcaire, au contact d’une vallée.
La recherche du chemin suivi par l’eau souterraine est un problème très difficile. Sa solution exige la collaboration de plusieurs acteurs.
L’hydrogéologue s’intéresse à l’eau souterraine. Il part des sources, faciles à trouver. Pour les Hauts plateaux du Vercors, elles sont dans les gorges de la Bourne : la grotte de Bournillon, énorme par son porche et ses débits, les sources d’Arbois plus discrètes, la grotte de la Luire perchée sur le bord du plateau et une dernière enfin, bien cachée : le Siphon d’Arbois qui ne coule que quelques heures par an.

L’hydrogéologue essaye aussi de délimiter le bassin versant de la source, c’est-à-dire l’ensemble des points du plateau pour lesquels l’eau de pluie sort à la source. Pour cela, il s’appuie sur les apports des spéléologues et des géologues.
Les spéléologues sont censés connaître les entrailles de la Terre. Ils doivent savoir, eux, où passe l’eau, quels sont ses lieux d’enfoncement, ses cheminements, ses confluences, ses collecteurs. Ils sont les derniers explorateurs de la planète, arpentant patiemment les chaos calcaires à la recherche de fissures qui donneraient accès aux gouffres, aux réseaux souterrains qu’ils convoitent. En réalité, si les spéléos connaissent bien certaines parties du monde souterrain, on peut dire que la plus grande part leur échappe encore : elle reste à explorer.
D’ailleurs, que connaît-on sur les Hauts plateaux ? Plusieurs gouffres ont été explorés qui rejoignent le bas des calcaires mais sans offrir d’accès à des rivières souterraines. Néanmoins, le réseau de la Luire (Saint-Agnan-en-Vercors, Drôme), le plus grand du Vercors pour le développement (53 km), offre une vue fascinante mais fragmentaire sur les circulations souterraines.
Les spéléos pratiquent aussi des traçages permettant de connecter un point de la surface avec une source. Mais si ces traçages jouent le rôle de vérification, ils ne fournissent pas le détail du chemin de l’eau.
Ces explorateurs apportent aussi une connaissance supplémentaire : leurs topographies des gouffres révèlent des éléments sur leur structuration.
Si l’eau coule à l’air libre dans les galeries (on dit vadose), c’est la pesanteur qui guide l’eau. On constate alors que l’eau descend assez verticalement dans les calcaires du Vercors qui sont très fissurés. Et quand les fissures ne permettent pas à l’eau de traverser les bancs, elle se contente de suivre les joints de strate.
En revanche, si les conduits sont noyés, l’eau qui est sous pression suit la ligne la plus droite possible vers l’exutoire en empruntant les calcaires fissurés.

Le rôle majeur du géologue. Ce sont les patients levés des géologues de terrain, leur connaissance des épaisseurs des couches, des pendages et des fractures qui permettent d’imaginer le mieux les chemins de l’eau. Mais quelle est la règle du jeu ? Quelles conditions géologiques permettent d’affirmer l’existence d’un cours d’eau souterrain et d’en localiser l’itinéraire ?
Dans le Vercors nord, l’établissement de la carte des lignes de niveau du toit de l’Hauterivien permettrait de répondre à ces questions.
En effet, la limite inférieure de la couche calcaire principale, l’Urgonien, est imperméable. Il s’agit en général des marno-calcaires de l’Hauterivien. Cette couche imperméable joue donc le rôle de surface de drainage (comme le sol dans les pays non calcaires). Si on connaissait la forme topographique du toit de l’Hauterivien avec les lignes de niveaux correspondantes, il suffirait de repérer les talwegs, autrement dit les creux de cette surface, pour savoir où l’eau coule dans ces creux.
S’il existe des cuvettes, il suffit de repérer les déversoirs, donc les niveaux piézométriques.
Avec ce document hypothétique, on pourrait dessiner le chevelu hydrographique souterrain en une heure de travail. Mais ce document n’existe pas. Il reste à construire et là, il faudra plus qu’une heure de travail.
Dans le sud Vercors, une complication apparaît car l’Urgonien cesse d’être bien individualisé, la couche devient plus complexe. On n’est pas sûr de savoir à quel niveau géologique l’eau se cale pour couler. Il faut alors réfléchir un peu plus et les traçages sont utiles.

Les cartes n’existent pas. Pourquoi ces cartes pour le tracé des chemins de l’eau n’existent pas ? Le lever d’une carte est chose lourde, dévoreuse de temps et d’énergie. Les cartes géographiques ont été les premières car elles intéressaient les militaires. Ont suivi les cartes géologiques, très utiles pour la recherche de minéraux, elles intéressaient les mineurs. Mais les enjeux économiques de la connaissance des chemins de l’eau karstique sont bien plus petits, ce qui explique que ces cartes n’ont pas encore été levées. L’hydrogéologue doit donner des résultats rapidement. Il s’intéresse plus à l’eau qu’à la géologie et ne consacre pas assez de temps à ces cartes.
Pourtant, des questions comme la pollution, la contamination des ressources en eau, commencent à prendre de l’importance. Il semble donc probable que ces cartes finiront par être levées et publiées. Elles devront être construites par des géologues confirmés. Les études géologiques déjà faites constituent une bonne base. Ainsi, on voit facilement que les coupes levées par Hubert Arnaud sur le Vercors sud permettraient, si elles étaient prolongées vers le bas jusqu’au toit de l’Hauterivien, de construire les fameuses cartes qui demandent précision et travail.
Les gestionnaires d’espaces karstiques devraient prendre conscience que la partie invisible de ces régions n’est pas moins intéressante que la partie visible. Le cheminement de l’eau souterraine reste partiellement mystérieux sous les Hauts plateaux du Vercors et dans un grand nombre de régions calcaires. Ces espaces des ténèbres ne devraient-ils pas faire l’objet, tout autant que les espaces ensoleillés, des soins attentifs de leurs gestionnaires ? •