En mer pour apprendre la vie
Espaces naturels n°18 - avril 2007
Véronique Tollard
Association Destination planète mer
Si quelques « sorties nature » s’apparentent à une consommation ludique, elles peuvent être aussi une véritable école de vie. Dans ce cas-là, les éducateurs y mettent du sens, de la pédagogie et une sacrée dose d’énergie.
Dans le musée océanographique Paul Ricard, un bâtiment du début du siècle, une quinzaine d’enfants de dix à treize ans interpellent, tour à tour, les deux scientifiques venus les rencontrer. Est-ce que les cétacés voient en couleur ou en noir et blanc ? À quelle profondeur plongent les cachalots ? Les réponses sont mitigées, les chercheurs expliquent que les avis scientifiques divergent.
Et là, ce qui choque l’observateur, c’est la maturité des gosses. Ces questions, ils les ont notées avec application pendant toute la semaine qu’a duré leur croisière en mer, et s’ils viennent aujourd’hui rencontrer des experts, ce n’est pas pour savoir mais pour comprendre. Leurs demandes ne sont pas la résultante d’un travail scolaire mais celui d’une observation soutenue. Depuis sept jours, c’est le même foisonnement d’interrogations. Depuis sept jours, ils cherchent des réponses. C’est fou la richesse des débats qu’ils ont menés à bord.
Aussi, ils n’ont pas l’air surpris de l’imprécision des réponses, comme s’ils avaient admis le droit au doute. Ils préfèrent que l’on avoue l’ignorance, plutôt que s’enfermer dans des certitudes. D’ailleurs, ils le disent : « Les hommes ont encore beaucoup à apprendre sur le monde qui les entoure. »
Neuf gamins, deux adultes… Que s’est-il passé pendant une semaine dans le clos d’un catamaran naviguant au large des côtes méditerranéennes ? Car, visiblement, ces gamins-là ont perdu une vieille peau. On sent, à les écouter parler, que le Monde ne leur est pas dû. À leur mesure, ils sont acteurs.
Tout s’est joué dès le premier jour, lors de l’apprentissage de la sécurité. Enfermé sur son embarcation, l’équipage se sent fragile. La solidarité devient immédiatement une évidence, nécessaire pour se protéger. Le mot d’ordre c’est : « chacun est responsable de l’autre ». Quelle que soit la météo, et dès qu’ils sortent de leur cabine, les apprentis marins doivent mettre un harnais auto-gonflant. Ils font également l’expérience de la reconstitution d’un sauvetage avec des chiens terre-neuve. L’exercice laisse des traces. Mais, surtout, les enfants prennent vite conscience que, sur le bateau, on est les uns avec les autres, les uns sur les autres, les uns dépendants des autres. Le bateau devient le Monde avec des ressources limitées. Et la toute première étape, c’est d’apprendre à connaître l’autre.
La première navigation est très courte, elle dure trois quarts d’heure, de Sanary jusqu’à Bandol. Chacun se présente, le groupe se concerte pour donner un nom au bateau, et entame l’écriture du livre de bord. On se met d’accord aussi sur les valeurs qui vont présider au voyage : la solidarité, la participation (chacun fait la cuisine et la vaisselle à tour de rôle, ce n’est pas une croisière du club Med !). On entérine aussi les règles à respecter, les horaires à suivre et les activités à mener.
Arrivée à Bandol, on prend connaissance du plan de pont. À l’aveugle (on leur bande les yeux), chacun apprend à se déplacer en tâtonnant. Les autres sont là pour avertir des endroits dangereux. En effet, les winches, les taquets, les pianos… sont autant de pièges pour qui se déplace pieds nus.
Et, bizarrement, a contrario de ce que l’on pourrait attendre en toute autre circonstance, il n’y a pas de moquerie. Face à un élément qui leur est inconnu, les enfants se serrent les coudes. À la barre, et dans les vagues, j’ai vu un gamin avoir peur et n’en rien dire. Tandis que le copain lui soufflait à l’oreille : « T’inquiètes pas, tu barres bien ! »
Dès le deuxième jour, on apprend les distances. Sur la carte, on comptabilise les miles. Sur la mer, on enfile les heures. Ainsi, pour rejoindre Port-Cros, il y a six heures de navigation et les enfants se demandent comment ils vont s’occuper. En fin de compte, chacun trouve sa place. À tour de rôle, l’un puis l’autre va prendre la barre, les volontaires mettent les voiles. Voici venu le temps d’un dialogue sur le rapport au temps. Le temps mort ? On l’occupe en observant, en écrivant une chanson, en faisant des quizz qui traitent de l’eau, on rigole. C’est la vie à bord, il y a toujours quelque chose à faire. Et quand on arrive, c’est des « Oh, déjà ! ».
Les journées suivantes, le rythme est pris, douze heures en mer n’effraient plus personne. L’équipage s’en va à la rencontre des dauphins. Et voilà l’occasion d’expliquer où sont les fonds marins, les fosses et les canyons, et de montrer que les dauphins utilisent des courants pour venir se nourrir à un endroit plutôt qu’à un autre. Et quand on s’y rend, chaque fois ils sont là : cachalots, dauphins bleus et dauphins blancs… Cela fait plaisir à voir, ces gosses qui s’enthousiasment sur la beauté du monde.
C’est d’ailleurs ainsi que prend naissance une réflexion plus intense sur l’importance de la réglementation. Quand on leur parle de se rendre à Port-Cros, la réaction est immanquablement la même : « On n’y va pas, il y a trop d’interdictions. » Mais on s’y rend quand même, juste pour voir. Et là… toujours, ils comprennent tout. Les mômes réagissent et s’expriment sur la différence entre un site protégé et un autre, sans réglementation particulière. Quelquefois même, ils font dans l’excessif. J’ai entendu un plaisancier, qui remontait des posidonies accrochées à son ancre, se faire traiter d’assassin !
Ultime étape d’une démarche pédagogique, la rédaction d’une charte : le « message des marins porte-parole ». En fonction de ce qu’ils ont perçu pendant leur séjour, les enfants rédigent un traité d’harmonie avec ce qui nous entoure. Ensuite, ils passent voir les plaisanciers au mouillage à Port-Cros, et munis de leur convention, ils discutent avec chacun et expliquent l’importance d’une bonne conduite.
Il faudrait ajouter tout ce que l’on n’a pas dit. Quelquefois par évidence, comme l’apprentissage de la gestion de l’eau ; d’autres fois parce que tout n’est pas quantifiable dans une démarche pédagogique.
Une chose est sûre : ces gamins-là vivent une expérience qui les construit à jamais.
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Association Destination planète mer
61 chemin de Beaucours
83110 Sanary-sur-Mer