Emplois jeunes

 
sortir du dispositif

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Management - Métiers

Fabrice Cugny
Président du Conservatoire des sites naturels du nord et du Pas-de-Calais

« Bonjour, vous faites quoi dans la vie ? » « Je suis en emploi jeune ». Cinq ans après sa création, toute l’ambiguïté du dispositif « nouveaux services, emplois jeunes » tient dans cette réponse. Tout autre salarié aurait décliné son poste ou son métier. L’emploi jeune serait-il un statut ? 2003 voit la fin des premiers postes du dispositif, mettant en exergue les questions de pérennisation des activités et du devenir des bénéficiaires.

Dès 1997, le rapport de Guy Hascoët « territoires, emploi et développement durable » donnait les grandes lignes de ce futur dispositif en mettant l’accent sur les besoins insatisfaits ou émergents, la combinaison du sectoriel et du transversal et l’inscription dans le développement durable. Ce dernier axe, surtout, traduit l’ambition du dispositif. Car il ne s’agit ni d’insertion, ni de politique sociale en faveur des populations exclues du marché du travail, mais d’un dispositif dont la réussite repose sur son appropriation par la société, et sur la volonté d’entreprendre dans de nouveaux secteurs, services, métiers… d'utilité sociétale.
Pour atteindre ces objectifs, tout un travail de méthodologie et d’accompagnement a été mis en œuvre. Mais le porteur de projet désirant se lancer dans la création d’emplois se heurte à de nombreuses difficultés, notamment pour la formation/professionnalisation des jeunes prévue dans le dispositif : il existe bien des plates-formes de professionnalisation mais quoi de plus difficile que de former des jeunes à des métiers émergents encore mal définis ? Beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Emplois jeunes
et environnement
Une enquête Ifen et Orme1 (juin 2003), fait apparaître que 12,6 % des postes emplois jeunes sont contractualisés dans le secteur de l’environnement. Pour bien analyser les chiffres, il convient de distinguer le concept de flux et de stock. Le flux nous renseigne sur le nombre total de jeunes ayant bénéficié du dispositif, soit 37 000 jeunes pour le secteur de l’environnement. Le stock traduit le nombre de jeunes dans le dispositif à un moment donné, soit environ 18 700 en juin 2003.
Les types d’emploi dans l’environnement se ventilent en trois groupes : gestion durable des ressources (métiers concernant la gestion des déchets, de l'eau…), entretien, production et valorisation d’aménités2 (agents d'environnement, de médiation, de valorisation du patrimoine, éco-gardes…), sensibilisation, éducation et activités associatives (animateurs nature, coordinateurs associatifs…). Plus de la moitié des postes emplois jeunes relève du deuxième groupe. Cette tendance se retrouve au sein des organismes gestionnaires d’espaces naturels, très employeurs également de personnels du troisième groupe.
Employeurs
et flux d'employés
du secteur environnement
Au niveau national, les employeurs sont en majorité des collectivités locales (60 %) et, dans une moindre mesure (28 %), des associations (cf. tableau 1).
Autre tendance, sur les 37 000 emploisjeunes ayant travaillé dans l’environnement, plus de 40 % ont rompu leur contrat avant terme. Cette instabilité, plus marquée chez les employeurs de statut privé (cf. tableau 2), peut avoir diverses origines : insatisfaction du salarié ou de l’employeur, reprise d’études du jeune, ou plus récemment son licenciement économique, dans un contexte de crise qui touche fortement les associations. Autre raison possible de cette instabilité : les jeunes, notamment ceux embauchés par les associations, disposent d’un plus haut niveau de qualification. Ils sont donc plus aptes à changer d’emploi.
Zoom sur les Réserves naturelles
Diversité d’employeurs et flux d’employés rendent complexe la lisibilité du dispositif emplois jeunes. En avril 2003, l'association Réserves naturelles de France a mené une enquête sur les emplois jeunes de son réseau. Voici les chiffres des 98 % de Réserves naturelles nationales qui y ont répondu. 60 % d'entre elles ont fait appel au dispositif, et comptaient 150 jeunes en avril. Contrairement à la tendance nationale, les trois-quarts des employeurs sont des associations. Les postes relèvent majoritairement de la mission première des réserves naturelles : la protection de la nature (cf. tableau 3). Ils se caractérisent par une grande polyvalence, les jeunes s'investissant à la fois dans plusieurs missions dont l'animation et la gestion administrative. Ces emplois jeunes représentent un quart de la force de travail des réserves naturelles. Or fin 2003, plus de la moitié d'entre eux seront arrivés au terme de leur contrat. La pérennisation est envisagée pour les deux-tiers des postes : une aide de l'État est demandée pour 75 jeunes (60 % de conventions pluriannuelles, 40 % d'épargnes consolidées), et pour 19 %, la pérennisation est prévue sans aide de l'État, leurs employeurs étant essentiellement des collectivités locales, qui ne bénéficient pas de ce dispositif d'aide de l'État. Pour 26 %, les employeurs ne se sont pas décidés sur la pérennisation. Enfin, pour 6 % des postes, ils ne seront pas maintenus.
Et l’avenir ?
La fin du dispositif emplois jeunes nous replonge dans les questionnements qui avaient prévalu à sa mise en œuvre : avons-nous su anticiper les évolutions de la so-
ciété, cibler les secteurs d'activités potentiellement solvables, apporter une réelle reconnaissance politique de l'utilité de ces postes ? Pris individuellement, les postes créés sont-ils nécessaires à l'employeur, reconnus des partenaires ? Les missions remplies sont-elles devenues vitales ? Peuvent-elles être reprises par d'autres salariés ? Afin d'aider les employeurs à s'organiser pour la fin du dispositif emplois jeunes, et à pérenniser les postes, diverses mesures d'aide à la consolidation ont été mises en œuvre : questionnaire d'auto-analyse pour les employeurs (comité de bassin), mesures d'aide financière de l'État (convention pluriannuelle et épargne consolidée), dispositifs locaux d'accompagnement (cf. encart ci-dessous)…
Dans notre contexte de crise économique, les associations ont particulièrement besoin d'un tel soutien, pour des postes souvent devenus cruciaux dans la réalisation de leurs missions. Il y va de la poursuite de leurs activités. Sortir du dispositif en pérennisant mais aussi en professionnalisant est tout l'enjeu actuel. Certains réseaux associatifs se sont mobilisés pour construire des référentiels métiers, (c'est le cas notamment de Réserves naturelles de France et de Rivages de France), l’adhésion ou l’extension à des conventions collectives nationales comme celle de l'animation valorisent plus le travail des employés. Aujourd'hui, il s'agit de donner de l'ampleur à ces avancées significatives en matière de professionnalisation, de se donner les moyens de poursuivre cette dynamique.
L'appropriation du dispositif emplois jeunes par les différents acteurs et les moyens mis en œuvre pour en sortir nous interpellent car ils sous-tendent des choix d’avenir pour nos espaces naturels et, plus généralement, pour notre société. Démarche citoyenne ou consommatrice ? Qu’allons-nous privilégier ?

1. Ifen : Institut français de l’environnement.

Orme : Observatoire et réseau des métiers et emplois de l’environnement.

2. Valorisation des lieux d’agrément.