>>> Conservatoire du Languedoc-Roussillon

Tous contre Lippia

 

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Le Dossier

Guillemette Husson
Conservatoire des espaces naturels du Languedoc-Roussillon

 

Tout d’abord mobiliser contre Lippia : fédérer les agriculteurs, éleveurs, écologistes, gestionnaires, pépiniéristes. Ensuite… préciser l’étendue de l’invasion. Puis agir. Voici comment…

C’est une petite plante à fleurs blanches. Originaire d’Amérique latine, Lippia fut introduite dans la basse plaine de l’Aude. Échappée d’un jardin à la fin du 19e siècle, elle forme aujourd’hui de grandes superficies de gazons denses qui remplacent les prés de fauche et les parcours à moutons.
Agriculteurs et éleveurs ont perçu le danger. La plante produit des millions de graines et colonise aussi par stolons : un pied gagne à lui seul plus de 60 cm par an. Outre la perte de diversité floristique, Lippia provoque une baisse de la valeur fourragère des prés salés et des prairies maigres de fauche (reconnus d’intérêt communautaire par l’Europe) : « Les moutons ne broutent pas cette colonisatrice ». Organisés en Association foncière agricole et en Groupement de gestion des prés, les agriculteurs et les éleveurs de la basse plaine de l’Aude ont décidé d’agir. Depuis l’an 2000, leurs actions, soutenues par les Département, Région, Diren, Communes et relayées par le Conservatoire des espaces naturels du Languedoc-Roussillon, visent à évaluer l’ampleur du phénomène et à tenter d’enrayer l’invasion.
La méthodologie du travail a consisté, tout d’abord, à préciser l’étendue de l’invasion. On a ainsi mis en lumière qu’elle couvrait environ 7 500 ha, limités à la basse plaine de l’Aude. Par contre, on retrouve l’espèce dans l’étang asséché de Sigean, à une trentaine de kilomètres de Capestang. Cet étang est occupé par des prés pâturés, dans des conditions de salinité et d’humidité identiques à celles de la basse plaine de l’Aude.
Ensuite, des enquêtes auprès des exploitants, ont cherché à identifier les relations entre l’abondance de Lippia et les pratiques agro-pastorales. Il est ainsi apparu que la plante est plus présente dans les zones humides, même temporairement, et pâturées en continu, où la dynamique de repousse des graminées n’est plus rendue possible. En revanche, les prairies de fauche sont moins envahies. Comme pour beaucoup de phénomène d’invasion, on retrouve les conditions de perturbation au niveau des pratiques agricoles (labour sans culture, déprise, pâturage en continu) portant sur un milieu contraignant (précipitations médiocres et très variables dans le temps, inondations temporaires, sols limoneux très érodables) qui entraînent des déséquilibres dans la dynamique de végétation et favorisent l’espèce envahissante.
Dès lors, des expérimentations in situ sur des petits quadrats (50 x 50 cm) ont été mises en place. Il s’agissait de soumettre Lippia à différents traitements : herbicides, griffonnage, semis d’espèces fourragères, mise en défens afin d’élaborer la meilleure stratégie de lutte. Les premiers résultats laissent apparaître que la lutte contre Lippia passe par sa destruction puis par l’installation d’un nouveau couvert de graminées et de légumineuses par semis, en le laissant évoluer naturellement.
Mais, compte tenu des conditions climatiques, la restauration de la dynamique naturelle en faveur des graminées sera longue (une dizaine d'années environ), avec un pâturage raisonné en fonction de la gestion de la ressource fourragère disponible.
Il s’agit maintenant, de passer à l’échelle de la parcelle en vue de la restauration de prairies permanentes. Le Conservatoire vient de débuter cette étape. Réalisé en étroite collaboration avec les agriculteurs et les éleveurs, ce travail permettra de soumettre les parcelles envahies à différents traitements : labours ou brûlages dirigés ou submersion tardive, suivis de semis d’espèces fourragères, respect du calendrier de pâturage des anciens, qui s’arrêtait à la Chandeleur et reprenait après la moisson pour permettre aux graminées de prendre le dessus sur Lippia.
Les acteurs sont également convaincus qu’il n’est pas de lutte sans prévention. Le Conservatoire a ainsi tenté de convaincre les horticulteurs de retirer Lippia de leurs catalogues. Plusieurs rencontres et entretiens ont été dans ce sens mais la sensibilisation n’est pas facile d’autant qu’elle se heurte à des intérêts économiques. Lippia répond à un besoin des consommateurs. Très couvrante, elle supporte aussi bien les inondations hivernales que la sécheresse estivale et tolère des niveaux modérés de salinité. Aujourd’hui, les horticulteurs continuent à la vendre.