>>> Réserve naturelle des Nouragues/Parc amazonien de Guyane

Contre l’orpaillage clandestin : la télédétection

 
Des méthodes innovantes pour pallier les difficultés d’accès aux territoires

Espaces naturels n°23 - juillet 2008

Méthodes - Techniques

Sébastien Linarès
Diren Guyane
Pierre Joubert
ONF
Valéry Gond
Cirad

La gestion du massif forestier guyanais, et plus particulièrement des espaces protégés, nécessite de faire appel à des méthodes innovantes pour palier les difficultés d’accès et l’immensité des territoires. Face à la pression de l’orpaillage clandestin qui touche gravement deux espaces protégés français majeurs, l’État a mis en œuvre un dispositif de surveillance réactif. L’usage de la télédétection (données à haute résolution fournies par les satellites) apporte des solutions intéressantes.

Le projet s’est développé dans un contexte de plus en plus alarmant sur le plateau des Guyanes. En effet, l’augmentation continue du prix de l’or sur le marché international a accéléré le développement de l’orpaillage clandestin : depuis les années 90, les activités minières ont plus que quintuplé en surface. Par ailleurs, l’orpaillage étant de type alluvionnaire, son impact est localisé le long des cours d’eau et de nombreux habitats naturels sont directement altérés ; sans parler de la pollution de la chaîne alimentaire par la remobilisation du mercure couplée à l’augmentation de la concentration de matières en suspension.
Les services de l’État, notamment l’ONF en charge du domaine forestier de l’État et la direction régionale de l’environnement, se sont donc alertés et un outil de suivi de cette activité a été mis au point.
Ce dispositif d’alerte a été mis en œuvre à partir de 2005 sur deux sites-tests particulièrement impactés (carte ci-contre). Le premier sur la Réserve naturelle nationale des Nouragues1 (le nord-est de la réserve, zone à fort potentiel aurifère, est grevé par un développement récent de petits chantiers clandestins). Le second concerne la rivière Sikini, au nord-est du parc amazonien de Guyane2. En effet, depuis plusieurs années, ce secteur subit un développement important de l’activité aurifère clandestine qui touche maintenant de vastes superficies. Les garimpeiros, ouvriers de l’orpaillage, sont ici très dynamiques car ils bénéficient de la proximité de la frontière brésilienne.
L’évolution des chantiers. La télédétection était tout d’abord utilisée pour établir le bilan annuel des secteurs impactés et quantifier les surfaces déforestées entre 1990 et 2000. Cette méthodologie a été développée par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) sur la base d’images issues des satellites Landsat (30 m de résolution) en coopération avec l’ONF qui dispose d’un système d’information géographique (SIG) appliqué à la surveillance de l’activité minière. Le procédé a été ensuite perfectionné en s’appuyant sur les données issues du satellite Spot-53 (2,5 m et 10 m de résolution) afin de suivre l’évolution des chantiers.
Le dispositif actuel permet de caractériser deux phénomènes directement observables par le satellite.
• Les déforestations. Nettement visibles, elles permettent de reconnaître précisément les secteurs travaillés. En revanche, la signature spectrale des déforestations n’est pas discriminante (une forte nébulosité, des franges nuageuses et nuages vaporeux peuvent avoir la même réponse aux traitements automatisés). On analyse donc ces objets sol nu, par photo-interprétation, en numérisant directement leurs limites.
• La turbidité et les pollutions des eaux. L’exploitation aurifère telle qu’elle est pratiquée en Guyane, de manière artisanale par lessivage des sols, rejette une quantité importante de matières en suspension dans les cours d’eau guyanais. Les eaux turbides ont une signature spectrale très particulière et beaucoup plus discriminante. Un traitement automatisé est alors possible.
En ce qui concerne ce dernier phénomène, il faut distinguer deux cas :
• Pour les petits chantiers réalisés sous couvert forestier – c’est le cas dans la réserve des Nouragues –, les pollutions ne sont observées qu’en aval des cours d’eau, sur leurs tronçons larges d’au moins une dizaine de mètres ; les chantiers en eux-mêmes étant situés en amont du signal détecté.
• Sur les zones exploitées sur de grandes surfaces, on peut détecter les baranques (fosses de décantation retenant les eaux du lessivage des sols), ces éléments étant suffisamment grands pour être observés par le satellite.
Le traitement appliqué pour analyser la turbidité est décomposé en six phases :
1. Calibration des images Spot. Les différences d’ensoleillement et d’angles de prise de vue sont corrigées.
2. Calcul de trois indices eau (NDWI), végétation (NDVI) et turbidité (NDCI). Ces indices sont construits à partir des quatre canaux fournis par Spot-5 (à savoir : le moyen infra-rouge sensible à l’eau des feuilles, le proche infra-rouge sensible à la structure des feuilles, le canal rouge sensible à l’absorption chlorophyllienne des feuilles, le canal vert sensible au contenu en eau de l’atmosphère).
3. Application des algorithmes de traitement. Il s’agit de filtres qui, pour chacun des quatre canaux et des trois indices, ne conservent que les pixels répondant aux caractéristiques spectrales de l’objet recherché.
4. Recomposition du signal. On ne garde que les pixels communs aux filtres élaborés comportant les sept critères sélectifs (les trois indices et quatre canaux).
5. Validation et nettoyage manuel des artefacts4.
6. Vectorisation du résultat pour intégration dans le SIG de l’ONF.
Un système efficient. À deux reprises, des missions de reconnaissance héliportée de l’ONF ou de la gendarmerie ont validé les résultats. Aujourd’hui, le traitement est opérationnel et permet la mise en place d’un système d’alerte. Le double intérêt de cette démarche réside, d’une part, dans la qualité des traitements développés par le Cirad et l’ONF et, d’autre part, dans la régularité et la rapidité de couverture offerte par les satellites. En cela, le satellite Spot-5 s’est révélé très réactif : sur une année complète de suivi, il a permis d’acquérir des scènes tous les onze jours en moyenne. Par ailleurs, la présence de la station SEAS en Guyane autorise une réception quasi instantanée des données (et ce gratuitement, grâce à un conventionnement entre l’État et l’exploitant du satellite, Spot image).
Désormais, l’outil de détection automatique de mise en alerte permet de localiser finement chaque site d’extraction aurifère actif. Les services de l’État peuvent donc avoir une information rapide et fiable sur l’orpaillage et optimiser leurs missions de police de l’environnement. Ainsi, les forces de l’ordre pourront engager des opérations de destruction des chantiers. Par ailleurs, les données issues de Spot-5 étant de meilleure résolution, le bilan patrimonial des surfaces exploitées a également été amélioré.
Perceptives. Cet outil de télédétection sera intégré à l’Observatoire de l’activité minière en Guyane (plate-forme interservices de centralisation de données portée par la préfecture de la région et dont la mise en œuvre opérationnelle a été confiée à l’ONF). Dans ce cadre, le système d’alerte sera étendu à l’ensemble du territoire concerné par l’activité minière, soit un tiers de la Guyane. Ces outils pourront également être extrapolés pour suivre d’autres phénomènes liés à la déforestation et à la pollution des cours d’eau, comme l’évaluation de la turbidité des eaux, dans le cadre de nouveaux programmes de recherche.

1. Plus grande réserve terrestre française couvrant 100 000 hectares de forêt tropicale, gérée depuis 2008 par l’ONF.
2. Parc national créé en 2007.
3. Ces données sont acquises directement à Cayenne auprès de la nouvelle station de réception SEAS Guyane (surveillance de l’environnement amazonien assistée par satellite).
4. Anomalies techniques relevant du traitement automatisé.