>>> Réhabilitation

Les oiseaux chantent toujours à Beauport

 

Espaces naturels n°1 - janvier 2003

Gestion patrimoniale

Didier Arnoux
avec la collaboration de Laurence Meiffret
Conservatrice
avec la collaboration de Florent Leroyer
Directeur adjoint

Ancrée à la pointe des Côtes-d’Armor, dans un grand site naturel de 70 hectares, l’Abbaye de Beauport a été acquise en 1992 par le Conservatoire du littoral. Aujourd’hui, après un sérieux lifting, elle s’ouvre à nouveau au public et s’apprête à fêter ses 800 ans.

Ce qui est frappant dans la réhabilitation de Beauport, c’est l’adaptation d’une méthodologie issue du milieu naturaliste à une problématique monument historique explique Laurence Meiffret, conservatrice. « Avant de bouger la moindre pierre, nous nous sommes livrés à un inventaire exhaustif de la faune et de la flore présentes sur le site. Nous avons étudié le rapport qu’entretenaient le bâti et l’humain. Seulement, il était impensable de mettre au même niveau le cadre naturel et le monument. Il fallait faire un choix. Alors, plutôt qu’un bon compromis, nous avons préféré créer un nouveau concept : faire de l’Abbaye une réserve culturelle » . Le site étant promis à une véritable politique culturelle. Cette innovation « politique » n’a pas été sans contrainte, technique et philosophique. Le Conservatoire du littoral a dû prendre un parti architectural très rigoureux, imposer son concept à l’architecte en chef des Monuments historiques, pour « arrêter le processus de dégradation, sans chercher à reconstituer les parties manquantes, quelles que soient les « tenta-tions » intellectuelles et certains indices architecturaux le permettant ». Toutefois, le fondement de ce choix politique est immanquablement marqué par les options techniques, les méthodes et matériaux utilisés.
Adapter le bâti
Depuis 1963, le site est classé, il est élu au titre du projet européen Natura 2000 et également labellisé “Refuge LPO”. Le respect de la faune est un challenge et une contrainte forte, auxquels les entreprises devront se plier. Elles seront d’ailleurs mises à contribution dans la recherche de solutions pratiques. Ainsi dans une salle, les chauves-souris et hirondelles risquaient d’être gênées par la pose de vitraux. Traditionnellement fermé, ce type de ventail empêche forcément le passage des animaux, habitués des lieux. Comment concilier l’impératif de circulation, particulièrement lorsqu’ils nourrissent leur progéniture, et la protection du bâti des intempéries ? L’idée semble simple, pourtant il faudra plus d’un an pour la réaliser. L’entreprise chargée des travaux a inclus dans un vitrail un bandeau de vingt centimètres qui peut s’ouvrir, un « ventail à charnières ». Le soir, fermeture des portes et ouverture du bandeau. Les animaux restent libre d’aller où bon leur semble sans sacrifier l’esthétique des vitraux. D’autres fois, les entreprises locales seront sollicitées pour réapprendre les techniques anciennes. C’est ainsi, par exemple, que pour restaurer la toiture du bâtiment au Duc, soulevée par la tempête en 1999, les artisans ont œuvré comme jadis. Ils ont récupéré l’ancienne charpente et la couverture puis replacé l’ensemble, à l’identique.
Fusionner le bâti
et son environnement
L’abbaye se trouve au cœur d’un grand site naturel. Comment faire pour que sa réhabilitation n’entraîne pas d’effets pervers, tels les risques induits par la sur-fréquentation ?
De 8 000 visiteurs par an en 1993, le site de Beauport est passé à 40 000 visiteurs en 2002. L’association pourrait très facilement s’engager dans une politique commerciale offensive pour atteindre un équilibre financier estimé à 70 000 visiteurs. Mais cela signifierait sacrifier le site. Aussi, pour être conforme à la philosophie adoptée en 1992 par l’association de gestion (voir encadré), les collectivités subventionnent l’association. Par ailleurs, le parking demeure sciemment limité à trois autocars (la priorité est donnée aux scolaires). À terme, l’objectif est même d’écarter les véhicules de la zone, faire en sorte que les voitures ne puissent plus stationner au pied de l’abbaye. Beauport n’est toutefois pas devenu un sanctuaire. 150 000 personnes continuent à investir chaque année les sentiers restaurés autour du site.
Tout comme les riverains et les promeneurs, la faune et la flore ont conservé leurs habitudes. Le Conservatoire l’avait d’ailleurs posé comme contrainte : les travaux ne devaient pas troubler l’écosystème. Ainsi, des nichoirs spécifiques aux différentes espèces d’oiseaux habitant le site ont été créés afin de remplacer les anciennes fissures qui leur servaient d’abri. La technique adoptée est simple et astucieuse : un tube en PVC est maçonné avec le mur. Il est ensuite retiré pour offrir de discrètes cavités aux mésanges bleues, nonnettes, charbonnières, rouges-queues à front blanc, et aussi aux étourneaux et moineaux qui retrouvent un habitat rénové.
L’esthétique du monument historique est, là aussi, préservée.
La restauration de Beauport fait-elle école ? La réhabilitation du bâti a été conduite sous l’autorité de l’architecte en chef des Monuments historiques et l’usage des matériaux n’a pas appelé d’innovation particulière. Seulement, le Conservatoire du littoral a eu le courage d’imposer son concept de « réserve culturelle ». L’Abbaye maritime de Beauport, c’est aujourd’hui un petit peu le fruit du travail d’un maçon et d’une dentellière.
Beauport peut être citée comme l’exemple d’une restauration réussie.