Les végétaux ont du génie

 
Contre l’érosion des cours d’eau : les techniques du génie végétal
Méthodes - Techniques

André Evette
Cemagref Grenoble
Pierre-André Frossard
Hepia Genève
 

Restauration des berges de la rivière Passer au Sud Tyrol.  Ici, quinze ans après le début des travaux. L’intégration de l’ouvrage dans son environnement est le meilleur critère de réussite. Technique utilisée : tapis de branches à rejet + enrochement de pied.

La réalisation d’ouvrages de génie végétal pour lutter contre l’érosion en rivière suppose de croiser des disciplines relevant de l’écologie végétale, de la pédologie1, mais aussi de domaines relatifs au fonctionnement du cours d’eau comme l’hydrologie ou l’hydrogéomorphologie. Des compétences techniques propres à l’ingénierie pour le dimensionnement des ouvrages et la mise en œuvre du chantier sont aussi nécessaires.
Contrairement aux techniques purement minérales comme les enrochements bruts ou bétonnés, voire les palplanches2, les techniques du génie végétal permettent de maintenir une qualité écologique et paysagère des berges. Chose importante dans la mesure où la biodiversité de ces milieux d’interface (écotones) est très élevée, tant sur le plan animal que végétal et que les cours d’eau constituent des corridors biologiques.
Les ripisylves permettent d’ailleurs d’améliorer la qualité générale de l’eau (épuration) et sa température (ombrage).

Les bons végétaux. Les végétaux sont nombreux et variés, lesquels choisir ? En Europe occidentale, on peut comptabiliser plus de 240 espèces utilisables, herbacées, buissonnantes ou arborées, y compris des espèces du milieu méditerranéen.
Le choix des plantes repose sur plusieurs paramètres : celles-ci doivent être adaptées au milieu (biotope) et capables de résister aux contraintes mécaniques liées au processus d’érosion.
Les conditions de gestion et d’usage ultérieur du site doivent également être prises compte : le milieu est-il pâturé, piétiné ?…
On s’inspirera par ailleurs, des modèles de formations végétales installés sur les berges naturelles situées à proximité. En effet, s’ils réussissent à maintenir les berges, on en conclura que les séries végétales en place sont adaptées au biotope et aux contraintes physiques du milieu.
On peut remarquer que les ligneux du genre salix (saules) sont fréquemment utilisés. En effet, leurs fortes capacités de bouturage, leur croissance rapide et leurs systèmes racinaires particulièrement développés sont efficaces en termes d’ancrage. Les saules présentent également une capacité de régénération surprenante et supportent des périodes d’immersion fréquentes et prolongées. De plus, leur caractère pionnier très affirmé leur permet de coloniser des substrats parfois très grossiers et pauvres en éléments nutritifs. On compte ainsi plus de vingt espèces de saules potentiellement utilisables en génie végétal.
Matériaux auxiliaires. L’efficacité d’un ouvrage s’exprime quand les végétaux ont atteint un certain développement. Ainsi, généralement, plus un ouvrage vieillit, plus il est efficace (ce qui n’est pas le cas des ouvrages entièrement constitués de matériaux non vivants). A contrario, ces mêmes ouvrages connaissent une période de fragilité relative en phase initiale de croissance végétale. En effet, les semences, boutures, plançons3 et autres arbustes doivent d’abord s’installer, développer un système racinaire et des tiges aériennes avant de pouvoir opposer une quelconque résistance aux forces d’arrachement et aux périodes d’immersion. C’est principalement pour pallier ce défaut de jeunesse que les concepteurs ont recours à des matériaux dits auxiliaires, souvent inertes ou du moins non vivants. Leur rôle est de faciliter et favoriser l’implantation des végétaux, de les protéger de contraintes physiques trop importantes en phase initiale de croissance. À terme, le plus souvent, ces matériaux perdent leur fonction et sont progressivement relayés par les végétaux en croissance. Ainsi l’utilisation des géotextiles biodégradables (en jute, en coco…) est incontournable et l’on peut dire que rares sont les projets qui n’y ont pas recours.
Le bois figure également parmi les matériaux les plus utilisés (résineux, robinier, chêne…), sous forme de pieux, de rondins formant des armatures (caissons, treillage, seuils, barrages…).
Le minéral est utilisé, souvent sous la forme d’enrochements. On le trouve notamment pour des interventions dans le lit mineur (seuils, rampe, épis…) où il intervient en complément des techniques végétales. Il est présent également dans les parties d’ouvrage immergées en permanence ou très fréquemment.

Rivières de montagne. Le cas des torrents et rivières de montagne est particulier. Très peu de réalisations de génie végétal y ont vu le jour. La cause ? Les contraintes hydrauliques, topographiques, climatiques, particulièrement fortes, qui n’incitent pas les gestionnaires à prendre des risques et à s’aventurer dans de nouvelles techniques.
Les méthodes traditionnellement mises en œuvre dans le courant du 20e siècle (souvent des enrochements) sont donc reproduites sans remise en cause. C’est regrettable. En effet le degré de naturalité des cours d’eau de montagne reste généralement élevé et confère à ces régions un rôle important dans la conservation de la biodiversité des zones alluviales.
Plus globalement pourtant, alors que ces techniques de génie végétal en rivière avaient été relativement abandonnées durant les « trente glorieuses », elles connaissent un nouvel essor depuis une trentaine d’années. Avec bonheur puisqu’elles sont respectueuses des habitats écologiques et des paysages.

1. Étude des sols.
2. Pieux plantés dans le sol comme mur de soutènement ou écran.
3. Branche que l’on sépare du tronc pour la planter en terre et former une bouture.
4. Plante enracinée sous l’eau.