GÉOTOPE

Se concerter pour protéger

 

Espaces naturels n°68 - octobre 2019

Gestion patrimoniale

Élise Auberger (membre), aubergerelise@gmail.comJean-Pierre Gély (membre),  Didier Merle (président), commission régionale du patrimoine géologique d'Île-de- France

Des arrêtés préfectoraux relatifs à la protection des sites d’intérêt géologique ont été pris pour la première fois en France, le 25 mai 2018, par le préfet des Yvelines. Annoncés comme des outils juridiques forts, simples et rapides à mettre en œuvre, ils ont toutefois nécessité des étapes préliminaires et non prévues par la réglementation avant d'être signés.

Échantillons de fossiles variés (à gauche) et Athleta (Neoathleta) citharoedus, MNHN A25029 (à droite) prélevés à Grignon et photographiés sous lumière UV. © P. Loubry - MNHN

Échantillons de fossiles variés (à gauche) et Athleta (Neoathleta) citharoedus, MNHN A25029 (à droite) prélevés à Grignon et photographiés sous lumière UV. © P. Loubry - MNHN

Le Lutétien du bassin de Paris constitue un point chaud de la paléobiodiversité mondiale. Le site paléontologique de Grignon (Thiverval-Grignon, 78) s’impose aujourd’hui comme son gisement phare avec plus de 1 200 espèces marines identifiées sur moins d'un hectare. À proximité, le site remarquable de la ferme de l’Orme (Beynes, 78) comprend pas moins de 400 espèces. Par chance, les pigments résiduels répartis sur les coquilles de mollusques restent préservés après 45 millions d’années d’enfouissement. Ces deux fenêtres géologiques permettent de reconstituer en continu les environnements apparus tout au long du Lutétien dans la région de Beynes. La série lutétienne du bassin de Paris constitue une référence pour tous les scientifiques, qui, grâce à ces innombrables fossiles, peuvent dater les roches analogues du monde entier. Par leurs intérêts scientifiques exceptionnels, ces sites ont inspiré de nombreuses publications scientifiques depuis les travaux pionniers de Lamarck (1802-1809) et de Cuvier et Brongniart (1811).

Bien qu’inscrits au programme de la Stratégie de création des aires protégées (Scap) depuis 20131 et placés en haut du classement de l’INPG2 dès 2015, aucune procédure juridique n'avait été planifiée pour les protéger. Le gisement de Grignon, localisé dans le parc domanial d’AgroParis- Tech et l’ancienne carrière de la ferme de l’Orme, léguée au Muséum national d'histoire naturelle, paraissaient en sécurité. À la fin de l'année 2015, le ministère de l'Agriculture et de l'alimentation, annonçant la mise en vente du domaine de Grignon, a mis en péril la pérennité du site. La ferme de l’Orme, quant à elle, ne bénéficiant d’aucune protection physique, se détériorait suite aux collectes de fossiles. Parmi les moyens réglementaires préconisés dans les directives de la Scap, les arrêtés préfectoraux relatifs à la protection du géopatrimoine semblaient les plus adaptés à ces situations d’urgence.

CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE

Le décret du 28 décembre 2015 relatif à la protection des sites d’intérêt géologique, appliquant la loi du 12 juillet 2010 dit « Grenelle II », prévoit deux nouveaux arrêtés préfectoraux3 : 1) L’arrêté préfectoral fixant la liste départementale de sites d’intérêt géologique, appelé dans cet article « liste départementale ». Les sites de la liste bénéficient alors de mesures de protection générales contre « la destruction, l'altération ou la dégradationdes sites d’intérêt géologique […] et le prélèvement, la destruction ou dégradation des fossiles […] »4 ; 2) L’arrêté préfectoral de protection des sites identifiés sur la liste départementale5, communément appelé de protection de géotope (APPG). Il permet d’arrêter des mesures spécifiques d’interdiction ou de limitation de certaines activités existantes, en complément de la liste.

Le décret prévoit une procédure d’application déconcentrée des arrêté afin de faire face aux menaces anthropiques rapides. Pour ce faire, la Dreal (DRIEE en Île-de-France)6 prépare un dossier soumis à consultation comprenant un rapport de présentation du projet, des éléments justificatifs issus de l'INPG et de la Scap, les deux projets d’arrêtés préfectoraux et leurs périmètres (liste départementale et APPG). Enfin, les sites doivent répondre a minima à l’un des trois critères d’éligibilité5 : constituer une référence internationale ; présenter un intérêt scientifique, pédagogique ou historique ; comporter des objets géologiques rares. Par leurs intérêts patrimoniaux exceptionnels, Grignon et la ferme de l’Orme respectent les trois critères d’éligibilité pour intégrer la liste départementale.

POURQUOI UN APPG ?

À première vue, la mise en oeuvre d’un APPG apparaît comme une contrainte superflue car elle complexifie la constitution du dossier. Cependant, les mesures de protection générales de la liste départementale ne doivent pas interférer avec les activités économiques locales, si celles-ci ne menacent pas le géopatrimoine3. En déterminant des mesures de protection spécifiques et adaptées aux usages et aux activités économiques, à l’état du site et aux menaces anthropiques, l’APPG permet de préciser les modalités d’application en amont et de limiter les conflits a posteriori.

Afin de s’assurer du consentement du préfet et d’aboutir à un accord sur les clauses de l’APPG, la DRIEE a dû se concerter avec les propriétaires et les différents partenaires économiques, en amont des consultations officielles. De plus, la délimitation du périmètre d'action des arrêtés a nécessité une méthodologie réalisée en collaboration entre la CRPG7 et la DRIEE, basée sur l’équilibre entre une intégration optimale des intérêts patrimoniaux et une entrave minimale aux activités économiques. Afin d’éviter une dépréciation considérable des parcelles et le rejet du projet par le préfet, il paraissait préférable d’exclure les zones constructibles dans les périmètres de protection. Enfin, pour favoriser leur opposabilité, les périmètres, décrits par points GPS, se sont appuyés sur des repères physiques stables ou des limites parcellaires.

ÉTAPE NON PRÉVUE

Les deux arrêtés préfectoraux n'étant pas considérés comme des servitudes d'utilité publique, la municipalité n'a pas l’obligation d’annexer le périmètre protégé et les restrictions d’usages au PLU. Afin d'éviter un risque de non opposabilité en cas de contentieux, le conseil municipal s’est engagé à enregistrer rapidement les prescriptions nées de ces arrêtés, dans le cadre réglementaire du PLU.

CONSULTATIONS ET SUCCÈS

Afin de constituer un dossier solide et convaincant, la DRIEE a décidé d'organiser les consultations dans un ordre spécifique. En premier lieu, la validation du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), puis la prise en compte formelle des préoccupations du public et des parties prenantes et enfin l’avis des acteurs représentatifs et légitimes de la formation nature de la CDNPS8. Les contributions aux consultations ont toutes été positives. Le dialogue a permis d'aboutir à des mesures de protection qui autorisent certaines activités agricoles comme l'excavation, sur des zones où cela ne menaçait pas le géopatrimoine. Cela a permis d'obtenir l'approbation de la chambre d'agriculture, facilitant la validation de la préfecture. Après deux ans de procédure en faveur de la protection de Grignon et de la ferme de l'Orme, le préfet a signé les trois arrêtés préfectoraux le 25 mai 2018. Néanmoins, une préservation totale et à long terme de ces richesses ne sera possible qu’avec l’établissement d’actions de surveillance, de gestion et de valorisation.

(1) Circulaire du 13 août 2010 relative aux déclinaisons régionales de la stratégie nationale de création des aires protégées terrestres métropolitaines, NOR : DEVN1016789C.

(2) Inventaire national du patrimoine géologique.

(3) Note du 1er décembre 2016 relative à la protection des sites d’intérêt géologique, NOR : DEVL1618949N.

(4) Articles L411-1 à L411-2 du code de l'environnement.

(5) Articles R411-17-1 à R411-17-2 du code de l'environnement.

(6) Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie/Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.

(7) Commission régionale du patrimoine géologique.

(8) Commission départementale de la nature, des paysages et des sites.