DONNÉES

Regarder les usagers de la mer… de plus près

 

Espaces naturels n°68 - octobre 2019

Accueil - Fréquentation

Ingrid Peuziat, Iwan Le Berre et Nicolas Le Corre, UMR 6554, LETG-Brest, ingrid.peuziat@univ-brest.fr

À toutes les échelles de gouvernance liées aux espaces marins, des données globales et précises font défaut. Trois grands types d'approches sont pourtant possibles pour en obtenir et adapter la gestion.

Archipel des Glénan.© LETG UMR 6554 - UBO

Archipel des Glénan.© LETG UMR 6554 - UBO

La fréquentation de la mer côtière s'intensifie et se diversifie dans nos sociétés. On observe une agmentation des interactions entres les activités et leur environnement susceptibles d’accroître les pressions et les impacts sur l’environnement marin, ainsi que les tensions ou conflits entre activités (conservation, pêche, loisir, transport maritime, énergie…). Dans ce contexte, le développement des espaces naturels marins en France (réseau Natura2000 en mer, parc naturels marins…) depuis une vingtaine d’années et plus récemment la mise en œuvre à l’échelle nationale des directives européennes directives cadres Planification en mer et Stratégie milieu pour marin constituent de véritables outils pour la mise en œuvre d’une approche intégrée de la gestion des espaces marins.

Pourtant à toutes les échelles de gouvernance de la mise en place de cette gestion durable des espaces marins, qu’il s’agisse de la co-construction d’actions concrètes de gestion avec les acteurs et usagers (aménagements, chartes…), de l’évaluation des impacts cumulés, de planification spatiale… le constat est le même: l’information structurée décrivant les activités maritimes de façon détaillée et permettant une vision globale de leur déroulement spatio-temporel reste insuffisante au regard des objectifs fixés.

QUELLES MÉTHODES POUR QUELLES DONNÉES?

Dans les espaces naturels marins protégés, l’intérêt porté au suivi des activités humaines est plutôt récent et est, à juste titre, généralement motivé par une problématique de gestion spécifique : réduction des impacts environnementaux ou des conflits, gestion d’une activité en particulier, régulation des flux, amélioration de la qualité de l’accueil… Par conséquent les méthodologies d’acquisition de données testées et mises en œuvre sont le plus souvent fragmentaires. L’objectif est donc ici de présenter un panel de méthodologies d’acquisition de données relevant principalement des sciences humaines et sociales, de la géomatique et des géostatistiques susceptible d’être mobilisé pour une meilleure compréhension des usages et usagers de la mer. Ces méthodologies d'acquisition de données peuvent être classées en trois grandes approches: (1) quantitatives, (2) qualitatives et comportementales et (3) spatio-temporelles.

L’acquisition de données quantitatives est indispensable à la compréhension de la fréquentation des espaces marins, elle peut reposer sur l’exploitation de données réglementaires (registres d’immatriculations des embarcations, nombre de licenciés…), mais ces sources ne fournissent généralement pas d’information permettant de mettre en évidence des intensités et densités de pratique des activités. Des méthodes d’observations directes ou semi-automatisées sont dans ce contexte fréquemment employées (comptages directs, par vidéo ou à partir des systèmes de téléphonie mobile, prises de vues aériennes ponctuelles…).

Si l’aspect quantitatif est indispensable, il n’aurait de sens sans informations permettant de caractériser la fréquentation, les usagers et les pratiques. Les questions posées et les thèmes abordés visent à connaître les différentes populations d’usagers, leur perception des sites, leurs attentes, leurs propositions. Ces méthodes, basées sur la réalisation d’enquêtes (questionnaires, entretiens…), relèvent des sciences humaines et sociales. L’élaboration des enquêtes, leur conduite et leur analyse répondent à des principes scientifiques rigoureux. L’approche comportementale des usages est essentiellement basée sur des observations, participantes ou non, impliquant le plus souvent une forte immersion sur son site d’étude. Elle prend en compte de façon approfondie la diversité des acteurs et de leurs pratiques, apportant les clés de compréhension des phénomènes de fréquentation indispensables à la caractérisation fine des systèmes de fréquentation. L’approche comportementale est également une composante intéressante dans les réflexions sur la gouvernance des sites protégés.

"L’implication des gestionnaires, mais aussi des usagers de la mer, dans la production de données apparaît aujourd’hui primordiale."

Enfin, les méthodes visant à caractériser le déroulement spatio-temporel sont le plus souvent basées sur les méthodes et les outils de la géomatique. Ces méthodes ambitionnent de restituer la distribution instantanée ou dynamique des activités maritimes. Elles mobilisent des informations généralement issues des Systèmes d’identification automatique (AIS) embarqués sur certains bateaux, des données de tracking (objets connectés, GPS), de données radar, de photographies aériennes et d’images satellitaires répétées régulièrement ou encore d’informations spatio-temporelles recueillies à dire d’acteurs. Avec l’appui de méthodes de modélisation, elles peuvent permettre de simuler le déroulement de ces activités.

Le degré d’opérationnalité et les contraintes de mise en œuvre d’un certain nombre de ces méthodologies ont pu être renseignés en fonction par exemple de leur disponibilité, de leur maturité technologique, des moyens humains et financiers nécessaires à leur mise en œuvre, du degré d’expertise nécessaire à l’analyse des données ou encore des questions éthiques soulevées (références de l'étude en fin d'article).

DES DONNÉES POUR QUOI FAIRE ?

Les enjeux découlant de l’acquisition de données en mer sont multiples pour les scientifiques, les gestionnaires des espaces marins et les services de l’État. Les données quantitatives, qualitatives, comportementales et spatio-temporelles sont susceptibles d’alimenter les réflexions en cours sur la structuration des données, leur catalogage et leur diffusion (via les infrastructures de données géographiques et les outils de géo-visualisation). Elles sont aussi au coeur des débats dans les groupes de travail consacrés à la gestion des activités en mer (planification en mer, cartographie des interactions), en encore à la réduction des impacts de ces activités anthropiques sur l’environnement marin (évaluation des impacts cumulés ou non, prise en compte de ces impacts en amont à travers la mise en oeuvre de la séquence Éviter-Réduire-Compenser). À l’échelle des espaces naturels protégés ces informations sont aussi précieuses pour cibler les bonnes mesures de gestion à mettre en oeuvre (dans la gestion des flux par exemple) ou encore pour développer des stratégies de communication adéquates auprès des usagers.

En ce sens l’implication des gestionnaires (c’est déjà souvent le cas) mais aussi des usagers de la mer dans la production de données apparaît aujourd’hui primordiale. Ce n’est plus le scientifique qui vient collecter la donnée, la mettre en forme, la traiter et la restituer aux gestionnaires/ usagers, mais le scientifique, le gestionnaire et les usagers qui doivent co-construire des méthodes afin qu’ils puissent eux-mêmes produire une donnée fiable et adaptée aux besoins de chacun.

Aller plus loin
Peuziat, I. et I. Le Berre, 2014, CARTAHU - Cartographie des activités humaines en mer côtière, un état de l’art, rapport final, Fondation de France, LETG-Brest Géomer, IUEM-UBO, Brest, France, 76 p.
• Pdf téléchargeable : bit.ly/2kCVoUN
• Peuziat Ingrid, 2018, L’acquisition et le suivi des données spatiotemporelles sur les activités nautiques. Colloque sport, mer et littoral, ENVSN, Saint-Pierre-Quiberon 29/11/2018 (vidéo sur bit.ly/2lMhvIx).
• Le Berre, S., I. Peuziat, N. Le Corre et L. Brigand, 2013, Observer et suivre la fréquentation dans les aires marines protégées de Méditerranée. Guide méthodologique, Projet MedPAN Nord. WWF-France et Parc National de Port-Cros, 58 p.
• Guyonnard, V., 2013, Projet technologies d’observations du nautisme dans l’estuaire de la Gironde et les pertuis charentais. Rapport final, AAMP, UMR 7266 LIENSs, ECOP, 129 p.