CONSERVATION

Polyculture élevage : un allié à préserver

 

Espaces naturels n°68 - octobre 2019

Aménagement - Gouvernance

Claire Lemouzy, directrice Adasea Gers, claire.lemouzy@adasea.net

Grâce aux actions des agriculteurs dans le cadre des systèmes traditionnels de polyculture élevage, la biodiversité des espaces ruraux est largement maintenue. Que faire pour garantir la pérennité de ces activités, alors qu'elles rencontrent des difficultés dues au contexte socio-économique ?

Prairie naturelle fleurie. © Adasea 32

À travers les actions destinées à préserver la biodiversité des milieux agricoles gersois (mesures agri-environnementales, animation de sites Natura 2000, conseils techniques relatifs aux zones humides), l'Adasea, association de conseil et de services en environnement et en agriculture (voir encart) se heurte à la régression des systèmes traditionnels de polyculture élevage, qui « utilisaient » tous les milieux naturels associés pour l'élevage des herbivores : prairies et pelouses sèches, haies, mares, milieux humides...

Il est facile, avec de tels systèmes, de mener des actions de préservation des prairies humides, restauration des mares, réhabilitation de pâturage en pelouse sèche, amélioration des pratiques, et même, préservation des plantes messicoles dans les champs de céréales destinés à l’alimentation des animaux. Un récent rapport interministériel explique notamment l’importance de l’élevage des ruminants pour la préservation des zones humides. Or, la tendance très lourde dans les zones intermédiaires (ni de montagne, ni de plaine) comme le Gers est à l’arrêt de l’élevage extensif, en lien avec le départ massif des agriculteurs à la retraite et un désintérêt des politiques publiques pour ces systèmes mixtes de polyculture élevage « herbagers », pourtant reconnus mondialement comme les plus résilients face au changement climatique. Mais quand l'agriculteur arrête l'élevage extensif, il n'a alors plus de raison de conserver et gérer au mieux ces éléments, et la biodiversité décline. Alors, les mesures agri-environnementales ne deviennent plus que des outils « d’opportunité » sans durabilité, les conseils de « bonne gestion » deviennent inutiles, et les milieux disparaissent : mares comblées, haies arrachées, prairies naturelles retournées, pelouses abandonnées, champs à messicoles intensifiés. Jamais les collectivités et les conservatoires d'espaces naturels ne pourront acquérir et assurer la gestion de tous ces milieux qui disparaissent. Les règlements pour protéger les biotopes et la Trame verte et bleue ne sont pas adaptés pour enrayer cette transformation. Doit-on laisser disparaître ce modèle de polyculture élevage ? Et dans ce contexte, comment faire concrètement pour préserver la biodiversité « ordinaire » et « extra-ordinaire » des paysages ruraux ?

DES SOLUTIONS SONT RECHERCHÉES

La médiation et l'animation foncière entre agriculteurs éleveurs et non éleveurs ou propriétaires. L’Adasea a par exemple pu « sauver » une prairie humide à haute valeur patrimoniale (présence de la Jacinthe de Rome, espèce protégée nationalement) qui partait à l’abandon, en recherchant un éleveur, en restaurant le potentiel « agronomique » de la parcelle afin que l'éleveur y trouve son compte, et en rédigeant un bail à clauses environnementales entre la propriétaire et le fermier pour assurer, dans la durée, la compatibilité entre la gestion prairiale et le maintien de la jacinthe. C’est également l’objet d’un projet Life « Gascon’Hills », co-construit avec la Safer Occitanie et le CPIE Pays Gersois, destiné à la restauration de la trame écologique des milieux agro-pastoraux du Gers par re-mobilisation du foncier agricole pour les éleveurs.

La création d'une filière de foin dans les vallées où les éleveurs ont quasiment disparu au profIt des céréaliers, afin que les prairies inondables conservent un usage agricole et ne soient pas systématiquement converties en cultures.

Le maintien des primes pour maintenir l'élevage extensif dans ces zones intermédiaires hors montagne : Mesures agri-environnementales et climatiques (MAEC), ICHN, etc., sans lesquelles cette activité est peu rentable. Malheureusement, elles ne sont pas généralisées à tous les territoires, et sont limitées dans le temps : choix en Occitanie de limiter les MAEC aux sites Natura 2000 et aux zones humides, exclusion récente de certaines communes herbagères du dispositif ICHN, etc. Par ailleurs, ces aides sont limitées dans le temps.

La reconnaissance et le paiement des services rendus pour la biodiversité, la gestion de l'eau et la prévention des risques par ces systèmes de polyculture d'élevage. Les systèmes polyculture– élevages herbagers rendent un nombre de services collectifs impressionnant : réservoirs de biodiversité, de pollinisateurs et d’auxiliaires de cultures, puits de carbone, prévention de l’érosion des terres, écrêtage des crues, préservation de la qualité de l’eau ou filtre, qualité paysagère, etc. Un agriculteur qui maintient des prairies régulièrement inondées rend un service à la collectivité en matière de régulation des crues, mais il se retrouve seul quand le foin est « pourri » par l'eau qui a stagné et qu'il doit acheter du foin complémentaire pour finir l'année, etc.

"Pas de maintien de la biodiversité rurale sans réflexion sur l'économie des exploitations agricoles."

Ses pertes ne devraient-elles pas être compensées pour le service rendu ? C’est le sens actuel des réflexions pour la future PAC, d’expérimentations de « du paiement pour services environnementaux » par les agences de l’eau, sous l’impulsion de la loi Biodiversité de 2016. C’est aussi l’objet du développement de projets Epiterre, co-portés par la FNSEA et le réseau des Adasea de France (Imagin’Rural) pour proposer aux entreprises et aux collectivités des contrats de prestation pour services environnementaux avec les agriculteurs. À suivre…

Aller plus loin
www.adasea32.fr
www.imaginrural.fr
www.epiterre.fr
• Pointereau P. (2010). Analyse des pratiques agricoles favorables aux plantes messicoles en Midi-Pyrénées. Conservatoire botanique des Pyrénées et de Midi-Pyrénées. Rapport technique final, 118 pages, téléchargeable sur le site messicoles.cbnmp.fr : bit.ly/2xTGEE5
• Rapport interministériel : Préservation de l’élevage extensif, gestionnaire des milieux humides – 2017, Rapport CGEDD n° 010813- 01, CGAAER n° 16100 établi par Marie-Hélène Aubert et François Guerber (coordonnateur), CGEDD Yves Brugiere-Garde et Charles Dereix (coordonnateur), CGAAER téléchargeable sur le site du ministère de l'Agriculture : bit.ly/2SkLpQw