>>> Écologie du paysage

Les invertébrés exigent des corridors écologiques

 

Espaces naturels n°1 - janvier 2003

Études - Recherches

Françoise Burel

Les invertébrés sont particulièrement menacés par l’intensification des activités agricoles. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui se joue réellement dans les champs et les prairies ? Est-il possible d’agir ? Pour répondre à ces questions et nous ouvrir les portes de l’action, l’écologie du paysage nous invite à changer notre regard. Désormais, l’Homme dispose d’une science pour agir en connaissance de cause.

Voyez ces haies, ces champs, ces routes et entendez aussitôt le grouillement des invertébrés qu’ils abritent. Ceux qui lancent cet appel pourraient être les écologues du paysage : des scientifiques sans doute sensibles à l’harmonie des formes et des couleurs, mais qui préfèrent une analyse objective. Ils cherchent à connaître les chemins qu’emprunte la vie et à comprendre les mécanismes qui régissent les relations de dépendance entre les espèces et les espaces.
L’écologie du paysage propose, par exemple, d’observer la mosaïque du paysage agricole. Tout d’abord, elle nous invite à cligner des yeux pour en faire apparaître le filigrane. Se dessinnent alors les bords de voiries, chemins, fossés, haies… Tous ces entrelacs sont autant d’éléments de liaison, appelés « corridors ». L’écologie du paysage les observe parce qu’ils déterminent les relations spatiales entre les différentes zones de la mosaïque. La science s’intéresse ensuite aux différentes espèces et regarde comment, selon leurs besoins et leur mobilité, elles utilisent ces espaces interstitiels pour se nourrir, se reproduire et coloniser de nouveaux territoires.
La « connectivité »
du paysage est essentielle
Les invertébrés vivent donc dans des zones agricoles. Mais comment subsistent-ils dans ces paysages fragmentés où leurs habitats se trouvent scindés en taches de faible superficie, taches du reste isolées les unes des autres ? Il est certain que les espèces doivent se déplacer et ces déplacements peuvent être quotidiens, par exemple pour trouver de la nourriture, ou saisonniers, pour accomplir la totalité de leur cycle de vie.
Là les scientifiques interviennent
encore, ils considèrent le paysage en fonction de sa capacité à faciliter ou à réduire le mouvement d'une espèce entre des taches de ressources. La « connectivité » d'un paysage (c’est ainsi qu’on nomme cette notion) dépend à la fois des structures qui vont permettre les mouvements entre les taches de ressources et des capacités de mouvement des espèces. Si la connectivité est faible, on peut supposer qu'un certain nombre d'espèces aura du mal à se maintenir et que le risque d'extinction sera important.
Ainsi, le papillon Hesperia comma, dont les taches d'habitat favorable sont des pelouses calcaires, peut se déplacer d’une tache à une autre en volant. Pour lui, la connectivité du paysage est à l’échelle de sa capacité de vol, indépendamment des obstacles et de l'utilisation des terres qu'il rencontre sur son chemin.
À l'inverse, pour des espèces forestières, telles que les coléoptères Carabiques sylvatiques, la connectivité se mesure en fonction de la longueur des haies entre deux taches d’habitat favorable. Ces populations de petites tailles installées dans des bosquets ou croisements de chemins creux ont une fréquence d’extinction importante. Elles ne peuvent se maintenir que si des individus viennent recoloniser les habitats favorables laissés vacants. Les haies qui conduisent leurs déplacements servent donc de corridors indispensables à leur survie à long terme (cf. schéma p. 28). Or, la longueur de ces haies tend historiquement à croître, puisque la taille des parcelles augmente avec l’intensification de l’agriculture.
Agriculture intensive : préserver les corridors
Si la distance est un paramètre essentiel de la connectivité, la nature des corridors constitue par ailleurs un facteur déterminant. Ainsi a-t-on pu vérifier que les haies à végétation dense, en bord de chemin, sont plus favorables au mouvement que les haies dont la végétation est peu abondante suite, par exemple, au pâturage du bord des talus.
Dans les paysages d'agriculture intensive les bords de champs jouent donc un rôle clef pour le maintien de la biodiversité. Leur efficacité comme corridor et la définition de la qualité de l'habitat qu'ils procurent aux différentes espèces dépendent de leurs modalités de gestion. Ils peuvent être fauchés, pâturés, entretenus par épandage d'herbicide, brûlés... Ces différentes pratiques agissent sur les communautés animales et végétales en influençant d'une part la structure de la végétation et d'autre part la diversité floristique de la strate herbacée qui, par exemple, diminue lorsque les épandages d'herbicides deviennent fréquents.
Le choix des modalités de gestion est fait chaque année par l'agriculteur en fonction de la culture adjacente au bord de champ, du temps de travail disponible sur l'exploitation et de l'organisation globale de son système de production. Par exemple, les bordures le long des maïs, qui ne peuvent être fauchées en fin d'été, sont de plus en plus souvent entretenues avec de l'herbicide épandu au printemps. Les successions culturales influencent donc fortement la richesse spécifique des bords de champs.
Appliquée aux invertébrés, l’analyse de la connectivité peut être étendue à toutes les espèces animales et végétales. Elle explique les mécanismes d’interdépendance entre agencement de l’espace et préservation de la diversité biologique. Que de perspectives pour les gestionnaires de l’espace…

Cet article a été rédigé à la lecture du livre de Françoise Burel « l’Écologie du paysage » et de son article « Les principes de l’écologie du paysage, et leur application à la conservation des invertébrés dans l’espace agricole ».