Formation

Des étudiants en design au service des territoires

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Accueil - Fréquentation

Bruno Jacquemet, Esdmaa, bruno. jacquemet@ac-clermont.fr, Vianney Taing, PNR Livradois-Forez, v.taing@parc-livradois-forez.org

Qui dit « design » n’entend pas seulement Philip Stark ou Ikea. Loin de ces poncifs, un projet associant le Parc naturel régional Livradois-Forez et l’École supérieure de design et métiers d’art d’Auvergne (Esdmaa) met des étudiants en design au service de la valorisation des territoires.

Cet échange était l'occasion d'aborder des problématiques récurrentes avec le regard neuf et extérieur des étudiants en design. © Esdmaa

Cet échange était l'occasion d'aborder des problématiques récurrentes avec le regard neuf et extérieur des étudiants en design. © Esdmaa

Les Parcs naturels régionaux (PNR) ont l’habitude de collaborer avec des universités ou écoles supérieures spécialisées dans l’environnement, l’aménagement du territoire ou encore les sciences humaines et sociales. Dans le Livradois-Forez, ce sont des étudiants d’un tout autre profil qui sont intervenus aux côtés du PNR pour accompagner les élus de Saint-Victorsur- Arlanc (Haute-Loire), commune de 86 habitants, dans une démarche de valorisation du patrimoine bâti et naturel : des étudiants en design de l’École supérieure de design et métiers d'art d'Auvergne (Esdmaa) de Moulins- Yzeure (Allier).

UNE FORMATION EN LIEN AVEC LES TERRITOIRES

Convoquer les étudiants sur des sujets où la dimension territoriale est au coeur des problématiques, tel est l’une des approches clé des enseignants de l’Esdmaa. Ainsi, dans le cadre de leurs formations BTS de techniciens supérieurs et de niveau Master Design (diplôme d’études supérieures en arts appliqués), les notions de filières, de savoir-faire ou d'enjeux socio-culturels sont préalablement interrogées avant d'engager la conception d'un quelconque objet. De cette manière, le designer contribue à faire émerger les problématiques posées par un site, à en synthétiser les enjeux avant de proposer une réponse la plus en phase avec les attentes des futurs usagers. À la recherche d’un territoire où mettre en oeuvre cette approche avec ses étudiants, Bruno Jacquemet, enseignant en design produit à l’Esdmaa, est entré en contact avec l’équipe du PNR Livradois-Forez. Les premiers échanges ont permis d'imaginer différents contextes de travail où les enjeux répondaient autant aux missions du PNR qu’à ceux d'une école de design. La commune de Saint-Victor-sur-Arlanc – dont le maire, Jean-Luc Borie, souhaitait être accompagné dans l’élaboration de projets d’aménagements divers – est rapidement apparue comme un site idéal.

INTERVENTIONS INNOVANTES

Les étudiants-designers sont donc intervenus autour de problématiques variées touchant à la fois à la valorisation économique, à l’aménagement touristique et à la protection du patrimoine naturel et culturel de ce territoire rural. Pour le PNR Livradois-Forez, cet échange était l’occasion d’aborder des problématiques récurrentes pour les communes rurales de ce territoire avec le regard neuf et extérieur des étudiants en design. Identifier avec eux les enjeux du territoire mais surtout comment mieux les faire ressentir aux habitants et aux visiteurs. Dans ce type de contexte, la réponse standard est de réaliser et d’installer en milieu naturel des panneaux d’information sur la faune et la flore remarquables. Ce type de dispositif n’est bien souvent pas très adapté aux sites et tend à banaliser l’aménagement des espaces naturels alors que d’autres propositions sont envisageables : aménagements de sentiers, applications numériques, carnets de voyage... Pour le PNR et la commune de Saint-Victor-sur- Arlanc, au travers de cet échange, l’objectif était d’identifier le patrimoine de la commune, les sites de projets, les enjeux, requestionner les attentes des élus et habitants pour proposer des interventions innovantes. Consciente de devoir accompagner les étudiants dans une démarche structurée et innovante, l'équipe pédagogique de l'Esdmaa s'est associée à Romain Thévenet (Agence DETEA), designer de service. Son approche raisonnée des enjeux a permis d'élargir le sujet et d'envisager un large éventail de moyens pour répondre aux enjeux du projet. Le designer clermontois Pierre Ménard, sensible aux enjeux de l'éco-conception, a également pris part aux phases d'esquisses en sensibilisant les étudiants créatifs à des choix de conception économes et durables.

VALORISATION DE LA FILIÈRE BOIS ET AMÉNAGEMENTS

La commune de Saint-Victor-sur- Arlanc est située sur le plateau de Craponne-sur-Arzon (43). Le paysage de la commune se répartit entre des espaces fermés densément boisés (forêt très majoritairement privée et résineuse) couvrant plus de la moitié de la surface communale, et des espaces ouverts liés à l’élevage (viande principalement) et à la culture céréalière. La forêt et les entreprises qui en dépendent (exploitants forestiers, transporteurs, scieurs, charpentiers) occupent un rôle fondamental dans l’économie locale de ce territoire. L’objectif du projet était notamment de faire découvrir la filière bois et les différents métiers qui la composent et de les confronter aux idées reçues et aux autres visions que l’on peut avoir de la forêt : écologique, naturelle, mystique, féerique.

Les étudiants ont imaginé des réponses pragmatiques, sensibles et pédagogiques.

Un voyage immersif a ainsi conduit les étudiants à vivre de multiples rencontres avec les différents acteurs de la filière bois : bûcherons, agents ONF, scieries locales, propriétaires forestiers, équipe municipale, habitants de la commune de Saint-Victorsur- Arlanc… autant de témoignages de terrain qui ont enrichi leur vision de la forêt locale et de ses acteurs. Un premier volet d'étude, proposé pour les DSAA Design, s'est questionné sur la valorisation de la filière bois et son ancrage dans le Livradois-Forez. Si ce territoire peut se féliciter d'une surface forestière conséquente, les forêts sont des milieux mal appréhendés par les publics, notamment par les habitants du PNR. Une situation paradoxale qui a conduit les étudiants à imaginer des réponses pragmatiques, sensibles et pédagogiques, permettant d’affiner le regard du visiteur sur ces espaces naturels aux usages multiples.

Le design ne relève pas de la seule intuition créative d'un individu, mais bien d'une réflexion concertée.

Une première équipe a proposé l'Atelier des rencontres, qui trouverait sa place dans un ancien commerce de centre-bourg où les essences de bois seraient à la fois scénographiées et manipulées dans le cadre de projets participatifs ; sans doute connectable avec l'Atelier indigène, qui imagine un service mobile à travers une camionnette itinérante venant au contact des habitants et des scolaires pour explorer le bois de manière sensible et raisonnée ; et un dernier projet, mené par des étudiants sensibles à éviter la coupe de « l'écosytème forêt », qui favorise une visite in situ, pédagogique et poétique, sur les forêts d'aujourd'hui. Un deuxième volet opérationnel a conduit les BTS Design produits à proposer des avant-projets d'aménagements pour cinq sites repérés sur la commune de Saint-Victor- sur-Arlanc. Cet ensemble d'études créatives tend vers un même objectif : présenter, à travers les documents, des expériences singulières en jouant sur des approches et des attitudes de visite propices à la contemplation, sinon au questionnement et à la curiosité pour trouver des réponses auprès des habitants… Une maison, dépourvue de toit, ouverte sur le ciel étoilé et l'horizon forestier de la commune, une place juste bonne pour un pique-nique qui devient le lieu de tous les rendez-vous, un belvédère qui fait revivre la légende du château de Beaumont… Des images fortes en matière d'aménagement et de scénario d'usage encouragent l'équipe municipale à intégrer la pensée des jeunes designers dans leurs projets de développement local. Cet exercice collaboratif est, pour le PNR Livradois-Forez, l'école et la commune, un temps d'expérience et de réflexions porteuses pour mieux engager la prestation des créatifs – architectes, designers, graphistes – dans des projets de valorisation du cadre de vie. Si les avant-projets des étudiants s’avèrent encore insuffisamment développés (principalement par manque de temps), les réflexions et les hypothèses présentées illustrent, à leur mesure, une approche positive du projet d'aménagement du territoire où l'ensemble des acteurs participent à l'élaboration d’un projet centré sur les préoccupations et les usages des habitants.