La traction animale

En toute lucidité…

 

Espaces naturels n°13 - janvier 2006

Méthodes - Techniques

Cyriaque Lethuillier
Association Défi-Caux

 

Depuis dix ans, l’association Défi-Caux participe à la gestion de la valleuse d’Antifer (76) 1 • Ces dernières années, l’utilisation des chevaux de trait pour l’entretien du site s’est affirmée • Ce mode de gestion apporte des solutions, il induit aussi des contraintes.

La gestion d’espaces naturels par traction animale est une idée séduisante. Commençons toutefois par une mise en garde : attention au phénomène de mode ! Certes, l’hippotraction répond aux exigences de développement durable et concilie les aspects environnemental, social, économique. Sa viabilité, cependant, est conditionnée à une étude économique et à une obligation de formation des agents utilisateurs.
Aujourd’hui, en France, il existe plus d’une vingtaine d’opérations de ce genre. Cédant au phénomène de mode, quelques-unes ont été lancées rapidement, répliquant sans les adapter d’autres expériences, menées dans d’autres contextes. Chaque porteur de projet doit savoir qu’il est très difficile de réimplanter la traction animale là où un projet a échoué. Il n’a donc pas le droit à l’erreur ; aussi doit-il s’enquérir des aspects scientifiques (écologie) mais aussi techniques (formation, choix des races, matériels spécifiques, conduite de la cavalerie…) pédagogiques et médiatiques (savoir communiquer) et, indéniablement, économiques. Tout porteur de projet en traction animale devra faire preuve d’un professionnalisme hors norme, être animé d’une conviction, d’un argumentaire et d’une force de persuasion hors du commun pour imposer, socialement, des choix qu’il devra assumer le plus souvent seul.
Il faudra donc qu’il connaisse toutes les contraintes inhérentes au projet et la parade qu’il peut y apporter.
Et puis, autre aspect venant encore complexifier la question : l’image véhiculée par le cheval de trait lui-même. Son abandon a conduit au déclin des différentes races mais aussi à la perte des savoirs et savoir-faire : le cheval de trait s’est lentement effacé de la conscience collective. Le scepticisme de certains émane souvent de l’image passéiste que peut véhiculer un cheval au travail. Et, si la nostalgie nourrit l’enthousiasme de quelques-uns, d’autres n’y voient qu’anachronisme, incompatible avec la rentabilité affirmée dans les discours. Et pour parfaire le tableau, il faut compter avec l’incompréhension du public qui cantonne souvent le cheval à un moyen de loisir.
Face aux contraintes, il faut faire face :
n Contraintes sociologiques. Le cheval de trait, être vivant, sollicite davantage de temps et d’attention que le tracteur. Les dimanches et jours fériés, l’un va au garage, l’autre au pré. Le cheval demande une attention quotidienne. Aussi, plus qu’ailleurs, le personnel doit-il être motivé par le projet. Dans notre propre expérience, l’adhésion du personnel fut progressive. Elle découle de la conviction d’un seul homme, administrateur de l’association qui, à force de dialogue, a su transmettre la fibre. La formation et les rencontres successives ont ensuite renforcé l’adhésion. Aujourd’hui, les personnels mettent en avant les multiples intérêts de l’hippotraction, ils citent notamment la complicité et la synergie homme/animal.
n Contraintes économiques. Au démarrage du projet, les coûts d’investissement (équipement, outillage, formation…) peuvent s’avérer importants. Pour inscrire son action dans le temps, l’association Défi-Caux a procédé par phases. La première fut très ciblée : le transport de personnes et des visites-nature en attelage. De ce fait, elle ne nécessitait qu’un équipement de base (harnais cuir simple et paire, calèche) et une compétence partagée avec le centre équestre d’Étretat. Un plan de formation du personnel a également été programmé.
Il est ainsi judicieux de prévoir un plan de développement du projet sur plusieurs années et de maîtriser les coûts de fonctionnement. En effet, la masse salariale est importante et il convient d’y ajouter les frais d’hébergement et de suivi des animaux. Pour faire face, Défi-Caux a systématisé la recherche de partenaires. Trois conventions partenariales ont été signées. Deux pour la mise à disposition des
chevaux avec les Haras nationaux et le Conservatoire du littoral, une pour leur entretien et leur hébergement avec le centre équestre d’Étretat.
n Contraintes de gestion du service. Complexe, l’organisation du travail demande une programmation fine, adaptable et réactive sur l’année (saisonnalité). Dans notre cas, la mise en place d’un calendrier de permanences sur les week-ends s’est révélée indispensable, notamment pour réagir en cas de problème (fugue d’un animal, blessures…). Dans la préparation, l’entraînement des chevaux et leur utilisation, il est nécessaire d’adopter une logique d’économies et de remettre régulièrement en question toute manière d’opérer.
n Contraintes réglementaires. Le vide juridique autour de la traction animale impose une grande prudence. Aucune réglementation n’est prévue pour mener un cheval, cependant, un diplôme de niveau V pour les utilisateurs de chevaux attelés est désormais reconnu. Il est aussi opportun d’assurer l’activité en prenant une licence auprès de la Fédération française d’équitation et de prévoir une assurance spécifique au transport de personnes. Le suivi et l’entretien des animaux sont davantage réglementés, mais la réglementation sanitaire évolue : restez donc en veille auprès des services vétérinaires.
Les bonnes adresses
Comment trouver les bons chevaux, le bon matériel, les bons outils… ? S’il existe encore des éleveurs de chevaux, quelques bourreliers, les choses se compliquent quand il s’agit de s’équiper du matériel de traction adéquat. Récupérer des vieux outils est souvent une première idée. La définition d’un cahier des charges, en fonction des besoins et spécificités d’interventions propres aux sites naturels, permettra d’éviter toute erreur. L’intégration dans les réseaux professionnels est, là encore, nécessaire pour trouver les bonnes adresses.

1. Propriété du Conservatoire du littoral.