l Rencontre avec Jacques Guillaume

De la concertation à l’autodiscipline

 
>>> Patrons pêcheurs dans le Var

Espaces naturels n°13 - janvier 2006

Le Dossier

Jacques Guillaume
Président du comité local des pêches du Var

 

Le comité local des pêches du Var et le Parc national de Port-Cros se sont, ensemble, penchés sur la question du maintien de la ressource halieutique et de la préservation des habitats dans les eaux du Parc national. Ils ont abouti à la rédaction d’un cahier des charges codifiant la conduite à tenir par les pêcheurs professionnels. Ceux-ci doivent signer cette charte pour obtenir l’autorisation de pêche. Aujourd’hui, à la demande des pêcheurs eux-mêmes, les termes de la charte ont été repris dans un arrêté préfectoral. En clair : elle est devenue légalement obligatoire et opposable. Rencontre avec Jacques Guillaume…

Ainsi, les pêcheurs et les gestionnaires du Parc national de Port-Cros ont réussi à se mettre d’accord sur les modalités de pêche dans les eaux du Parc. En quoi cette démarche est-elle différente d’autres démarches de concertation ?
Cela faisait déjà plusieurs années que la pêche, dans les eaux de Port-Cros, faisait l’objet de discussions. Le Parc manifestait une volonté de limiter la pression sur la ressource halieutique. Il voulait imposer un numerus closus et limiter le nombre d’autorisations de pêche sur le site. Nous n’étions pas d’accord. Tout d’abord parce que c’était nous ignorer. Et, d’autre part, je ne vois pas pourquoi on aurait créé un privilège pour certains, fussent-ils tirés au sort.
Aussi, j’ai proposé de revenir à la doctrine professionnelle des prud’homies de pêches : « On ne restreint pas l’accès à la ressource mais on la réglemente. » On se met d’accord sur des règles très précises et tout pêcheur qui respecte ces règles peut aller travailler dans les eaux.
Je suppose que les gestionnaires d’espaces protégés, qui cultivent la culture de la concertation, ont été immédiatement d’accord.
Enfin… il a quand même fallu les convaincre… Cela peut se comprendre car ils faisaient face
à une surexploitation des eaux et voulaient
agir à coup sûr. Ils exprimaient des craintes. Notamment la peur que ces règles ne soient pas respectées et que l’état de fait perdure.
Mais vous les avez convaincus…
Nous avions un argument : il y a longtemps que les privilèges ont été abolis en France. Et puis… nous sommes têtus… Ils ont fini par accepter d’essayer notre solution. En vérité, ils y croyaient déjà à moitié parce qu’il y avait eu beaucoup de discussions préalables, y compris entre pêcheurs.
À quel moment, ont-ils adhéré ?
Dès la première réunion. Il faut dire qu’elle a été d’une efficacité remarquable puisqu’en deux heures, la charte était bouclée, le règlement était écrit… Tout le monde s’était mis d’accord. C’est là que les gens du Parc ont commencé à y croire. Ils ont vu que les pêcheurs étaient acquis à l’intérêt de
se fixer des règles. Le reste n’était plus que détails techniques.
Ne me dites pas que cela s’est réalisé sans difficulté aucune…
Il y a toujours des désaccords. Il y a toujours des cas particuliers… Et puis, je le dis avec beaucoup d’autodérision, la tendance des pêcheurs, c’est de râler. Mais, à partir du moment où la solution préconisée s’inscrit dans les règlements prud’homaux, cela calme le jeu. Les pêcheurs sont en terrain connu. C’est leur culture, leur manière d’être et de faire. Il y a bien sûr des cas particuliers, celui du pêcheur qui vient de plus loin, qui veut un horaire aménagé… Le Parc veut aussi mettre en avant ses objectifs de protection… Cependant, cela fonctionne, il y a un échange, un dialogue, des solutions.
Il faut aussi souligner le point fort de cette démarche : rien n’est figé. Chaque année, en décembre, la charte est réanalysée. Les gens se retrouvent, ils font leurs commentaires, ils règlent les nouvelles difficultés, ils modifient le règlement en conséquence. D’année en année, le règlement est affiné en fonction des ressources, du climat, du nombre de pêcheurs, on adapte les détails techniques… Avec un souci : non pas de piller la ressource mais de la protéger.
Qui est présent autour de la table,
lors des révisions de la charte ?
Tous les patrons pêcheurs qui ont demandé à travailler à Port-Cros, une vingtaine cette année. C’est très important, vous savez. C’est aussi pour cette raison qu’il y a une autodiscipline.
Cette charte a donné lieu à un arrêté préfectoral, c’est-à-dire qu’elle a pris rang de règlement officiel. C’est important à vos yeux ?
C’est tout l’intérêt de ce processus qui ouvre la voie à une réflexion sur les plans de gestion. À Port-cros, en fait, on a fait la démonstration que l’on peut construire des plans de gestion départementale sur la base des pratiques prud’homales. Contrairement à d’autres règlements, tel le cantonnement de pêche qui fige les choses pour quatre ans, la mise en place d’une instance de concertation pérenne donne toute sa force à cette charte.
Cette concertation a-t-elle induit des effets non attendus ?
Oui. Par exemple, nous venons de participer à l’édition d’un livre sur le savoir-faire ancestral des pêcheurs. Sans la charte, aurions-nous été des interlocuteurs pour le Parc ? Je vous réponds non. Il n’y avait aucune raison qu’il nous aide à trouver des financements, à trouver un éditeur… Pourtant, les pêcheurs peuvent avoir un rôle de catalyseur auprès des usagers, afin qu’ils respectent l’environnement.
Et puis, globalement, nous sommes redevenus des interlocuteurs. Dès qu’il se passe quelque chose, nous sommes tenus au courant par les affaires maritimes, par le Conseil général. Ils nous considèrent, alors que ce n’était plus vrai.
Bilan positif donc ?
Il y a beaucoup d’autres dimensions positives. Ainsi, par exemple, les pêcheurs font des déclarations de capture qui permettent au Parc de procéder à un suivi des espèces. Je dirais que c’est une démarche gagnant-gagnant qui trouve ses racines dans notre culture professionnelle.

Recueillis par Moune Poli

>>> Comité local des pêches du Var
Mél : clpmem.var@wanadoo.fr
>>> Parc national de Port-Cros
Mél : nicolas.gerardin@espaces-naturels.fr