Écosystèmes méditerranéens : mieux les connaître pour mieux restaurer
Espaces naturels n°68 - octobre 2019
Santiago Forero, UMS patrimoine naturel, santiago.forero@mnhn.fr,
Philippe Gourdain, UMS Patrimoine Naturel, philippe.gourdain@mnhn.fr
Le réaménagement qui suit l'exploitation des mines est l'occasion d'expérimentations importantes en matière de génie écologique. Sur l'île de Milos, en Grèce, un travail conjoint entre l'exploitant et les scientifiques permet une meilleure compréhension du fonctionnement des écosystèmes pour assurer la restauration de sites miniers en contexte méditerranéen.
Milos est certes une île touristique d’une nature riche, au littoral somptueux, mais son paysage témoigne aussi très largement de son histoire minière. Cette île méditerranéenne grecque se trouve dans l’archipel des Cyclades, au sein de l’arc volcanique du sud de l’Egée, qui lui confère un grand intérêt géologique pour le secteur minier, premier poste économique. L’île présente un paysage de collines, un climat semi-désertique (300 à 400 mm de précipitations par an) marqué par une période de sécheresse d’avril à septembre et des embruns fréquents. Ces conditions climatiques modèlent la végétation, dominée par des arbustes et des espèces du maquis, des garrigues et des phryganes (plantes généralement épineuses à dormance estivale). C’est dans ce territoire qu’Imerys, entreprise internationale, exploite un réseau de trois sites miniers à ciel ouvert à l’est de l’île pour l’extraction de perlites et de bentonites. L’ouest de l’île, plus sauvage, réunit plusieurs sites Natura 2000, avec au moins trois sites de la directive Habitats-fauneflore (DHFF) et un de la directive Oiseaux (DO). Dans ce contexte à forts enjeux écologiques, comment concilier les activités extractives avec la réinstallation et la préservation de la nature? Imerys met en place des opérations de réaménagement écologique de ses sites, afin de recréer des écosystèmes fonctionnels pouvant évoluer et accueillir une biodiversité locale. Ces opérations, menées de manière volontaire depuis les années 1970- 1980 avant l’apparition des législations nationales (Loi 3937/2011) ou les directives européennes (DHFF et DO), reposent sur cinq étapes.
• Reprofilage du terrain avec des sols et roches excavés non valorisables pour rétablir des pentes et topographies appropriées et en adéquation avec les zones environnantes.
• Couverture par l’ajout d’une couche de terre végétale (horizon humique, terre végétale et fertile), sur les terrains reprofilés, afin d’apporter de la matière organique. Cette couche de 30 à 50 cm d’épaisseur est d’origine locale (terre de découverture).
• Ensemencement par hydroseeding (ensemencement à la volée sous haute pression d'un mélange à l'eau de semences et d’autres adjuvants) avec environ 70 espèces locales différentes dont les graines sont collectées en milieux naturels.
• Plantation d’arbustes, arbrisseaux, arbres et plantes du maquis afin de compléter les ensemencements. Ces plants sont produits dans la pépinière d’Imerys à Milos, qui peut produire 25 000 à 30 000 plants d’au moins 57 espèces indigènes par an, dont 20 000 qui sont plantés chaque année sur les sites miniers. Les 5 000 plants restants sont cédés gratuitement aux collectivités pour leurs besoins .
• Mise en place de clôtures qui protègent les plantations des troupeaux de bétail et entretien de la végétation au moins dans les 3 à 5 premières années en attendant que les plantes soient suffisamment développées.
Cependant, ces opérations de réaménagement sont impactées par les conditions climatiques de sécheresse prolongée, faibles pluies et vents forts entraînant des ensablements et des embruns salins. Les dépôts de poussières issues des activités minières peuvent limiter la survie des plants. Le surpâturage par des chèvres et brebis, très marqué dans l’île, induit une dégradation de la végétation et de la terre végétale, qui peut déjà être assez pauvre en matière organique. Les rats pouvaient également occasionner des dégâts sur les systèmes d’irrigation. Des espèces exotiques envahissantes (EEE), comme les Griffes de sorcière (Carpobrotus edulis), sont largement disséminées sur l’île de Milos et peuvent se répandre sur les sites.
Pour faire face à ces difficultés, le réaménagement a été progressivement amélioré grâce à une meilleure connaissance et une compréhension des écosystèmes locaux, acquises au travers de l’observation et l’imitation des processus naturels des écosystèmes avoisinants et d’expérimentations menées avec des partenaires universitaires. Cette réflexion sur le fonctionnement des écosystèmes s’est traduite par un meilleur choix d’espèces utilisées pour la végétalisation. Depuis 1996, aucun système d’irrigation n’est plus utilisé grâce à la production en pépinière et la plantation d’espèces locales adaptées à la sécheresse (espèces constituantes de la phrygane et autres espèces du maquis), aux embruns et aux conditions de forte salinité (espèces halophiles). De plus, depuis 2005, seuls des plants d’espèces locales sont produits, réduisant ainsi les risques de prolifération d’EEE et les coûts d’entretien (arrosage, remplacement des plants dépéris). Imerys détruit aujourd’hui certaines stations de Carpobrotus pour replanter des espèces locales.
Parallèlement, des inventaires floristiques sur les secteurs autour des sites de Trachilas, Tsigrado et Aggeria par l’université d’Agriculture d’Athènes, ont permis d’identifier respectivement 215, 103 et 175 espèces dont 11 espèces rares, endémiques et/ou menacées. Des actions sont menées pour reproduire ces plantes en pépinière dans le but de les utiliser pour les plantations. L’université Capodistrienne d’Athènes a également inventorié 79 espèces d’oiseaux, 66 d’insectes et 8 de reptiles sur ces secteurs. L’Institut des écosystèmes méditerranéens a identifié 10 habitats de la DHFF dont la reformation devrait être facilitée par le réaménagement. Ces études écologiques réalisées par ces 3 partenaires entre 2015 et 2017 permettront de mieux adapter le réaménagement au contexte local.
"L'objectif est de structurer et de mettre en oeuvre un projet global de biodiversité pour l’ensemble de ses sites extractifs."
Afin de bénéficier d'une expertise scientifique sur le long terme, Imerys a également noué un partenariat pluriannuel en 2018 avec l’UMS patrimoine naturel (MNHN-AFB-CNRS). L'objectif est de structurer et de mettre en oeuvre un projet global de biodiversité pour l’ensemble de ses sites extractifs. Il permettra de mieux connaître, d’évaluer et de suivre la biodiversité, d’identifier les enjeux écologiques, de comprendre le fonctionnement des écosystèmes, d’apporter un soutien aux activités de réhabilitation écologique mises en place, d’y mener des améliorations et optimisations, de valoriser et de partager ces bonnes pratiques et d’associer de nouveaux relais scientifiques locaux. Plusieurs pistes de réflexion ont été identifiées pour ces sites à Milos :
• amélioration de la survie des plants via la mycorrhization;
• tests de réalisation de chantiers de gestion de plantes invasives et replantations d'espèces locales;
• identification de fronts de taille (falaises) à conserver pour favoriser certaines espèces d’oiseaux nicheurs;
• création de mares favorables à la faune locale;
• exécution de réaménagements moins réguliers et plus harmonieux avec le paysage naturel;
• renforcement des trames écologiques;
• réalisation d’inventaires d’autres taxons encore méconnus (mammifères, amphibiens, insectes) et des suivis complémentaires faune/fl ore pour évaluer la fonctionnalité écologique des sites réaménagés;
• pérennisation de partenariats scientifiques locaux et internationaux dans le projet;
• sensibilisation du personnel technique aux enjeux de la biodiversité.
Les résultats de cette quarantaine d’années d’études et d’expérimentations mettent en évidence qu’un réaménagement planifié en amont, constamment amélioré, adapté au contexte local, fondé sur des bases scientifiques et sur une collaboration multi-partenariale, peut se montrer pertinente et efficace pour restaurer les milieux qui ont été exploités. Grâce au travail avec l'UMS patrimoine naturel, les connaissances techniques et scientifiques acquises dans le cadre de ce projet permettent non seulement une optimisation du réaménagement écologique à Milos, mais aussi un accroissement du savoir dans le domaine.