Par Daniel Petit
Espaces naturels n°4 - octobre 2003
Daniel Petit
Géographe • CNRS UMR 5045, université Paul-Valéry, Montpellier III
En accouchant d’une gestion pluridisciplinaire où se mêlent du réglementaire, du scientifique, du naturaliste, de l’esthétique, de l’économique, des sciences humaines… la dernière décennie a ouvert de nouvelles voies et mis fin à la conception unilatérale de la gestion des espaces naturels.
En toile de fond des années 90, la recherche appliquée s’intéresse aux rapports de pouvoirs à l’espace, c’est-à-dire à la territorialisation de l’action. Les études sur les stratégies d’acteurs, les représentations, les problématiques concertation/négociation alimentent alors la réflexion sur la dimension patrimoniale de la nature en France : la géographie et la sociologie font leur apparition.
Cette vision socio-économico-culturelle éclaire, dans les espaces protégés à dimension réglementaire (réserves naturelles, parcs nationaux…),
le glissement d’une attitude purement conservatoire à une attitude plus gestionnaire. Elle signale aussi l’apparition de l’ingénierie écologique, nouveau secteur en quête de légitimité. Pour le professionnel des espaces naturels, cette évolution se traduit par la prise en compte de la complexité de la réalité locale et des différentes logiques qui la construisent. Passer de la logique de protection à celle d’un territoire en développement intégrant les préoccupations environnementales n’est pas toujours simple. De nombreuses entités se trouvent interpellées à la croisée d’intérêts contradictoires et d’échelles différentes. Il est difficile de les amener à des solutions à somme non nulle… et donc d’avancer.
Même s’il semble plus aisé de faire émerger des objectifs communs à l’échelon local, le fait est que les politiques de protection de la nature exigent des compétences et des savoir-faire complexes, généralement, hors de portée des populations locales. La gestion des espaces protégés risque alors d’être confisquée par des experts en ingénierie écologique dont la montée en puissance peut ébaucher un double scénario : soit un nouveau corps d’État émerge et conquiert une légitimité, soit on se dirige vers une semi-privatisation au travers des réseaux d’associations et d’ONG spécialisées (LPO, Cren, WWF, etc.). La première voie semble incertaine au vu de la relance de la décentralisation, chaque niveau souhaitant développer ses propres prérogatives. Et, dans les deux cas, les logiques catégorielles risquent, à terme, de l’emporter sur les logiques territoriales.
En alternative, une troisième voie s’ouvre. Elle intègre les sociétés locales et se définit par une approche territoriale et patrimoniale. Mais cette approche soulève aussi d’autres interrogations : elle peut conduire à une exacerbation locale ou régionale identitaire dont on connaît par ailleurs les méfaits. Elle tendrait alors à imposer la logique du territoire sans intégrer les liens et dynamiques de réseaux propres à chaque secteur socioprofessionnel. Elle peut, si l’on n’y prend garde, s’avérer aussi contraignante et limitative que l’approche réglementaire stricte.