Marais de baux

Les anciens marais des Baux seront-ils remis en eau ?

 
Aménagement - Gouvernance

Yves Froissart
Trans-formation consultants

 

Le projet de concertation « Envisager l’avenir des anciens marais des Baux » vise à élaborer une vision d’avenir d’un territoire jusqu’ici poldérisé.

Lorsqu’en 2003, non loin de la ville d’Arles, le Rhône inonde les anciens marais des Baux, des acteurs locaux s’interrogent : peut-on aller contre la nature ? Depuis 1960, un pompage électrique permanent assure le drainage de cette zone et, via un système de canaux, rejette l’eau en Méditerranée à cinquante kilomètres de là.
Les surfaces asséchées sont consacrées pour l’essentiel aux grandes cultures. Sur les trois mille hectares du site, seuls deux cents hectares humides – riches d’une biodiversité unique – subsistent encore par la volonté de quelques propriétaires.
L’inondation suscite une grande émotion et de nombreuses questions. Dans le cadre du type d’exploitation actuelle, le système d’assèchement constitue une obligation, or il est coûteux à entretenir. Est-il économiquement viable ? N’y aurait-il pas d’autres valorisations possibles qui tiennent compte du caractère naturellement humide de la vallée ?

Revenir à la zone humide ? Cette question fait controverse aujourd’hui. En 2003, la vallée inondée a été belle, avec, comme autrefois, des milliers d’oiseaux d’eau qui ont séjourné au pied des Alpilles.
Les anciens cependant gardent un souvenir cuisant de la pression des moustiques lorsque l’eau du marais avoisinait les villages.
Remettre de l’eau, c’est revenir au passé, c’est nuire au tourisme, c’est peut-être retrouver des maladies. Et puis, le marais, autrefois lieu important de vie locale, avec la chasse, la pêche, l’élevage, est devenu « zone oubliée » depuis qu’il a été asséché et acheté par des privés. La plaine intéresse si peu que, depuis quinze ans, une décharge intercommunale est installée en son cœur.

Ouvrir le débat public. Pour A Rocha France, association de conservation de la nature, implantée depuis 1998 dans la vallée, ces interrogations doivent être entendues. Lors des inondations, l’organisation a étudié la dynamique de l’eau dans le marais : elle est en contact avec des propriétaires, chez qui elle réalise des études sur la biodiversité ainsi que sur les habitats naturels. En 2005, elle choisit d’évoquer ces questions avec l’Agence publique du massif des Alpilles (Apma), organisme qui deviendra le parc naturel régional éponyme en 2007.
A Rocha rencontre un écho favorable auprès de l’équipe de l’Apma et de ses élus. L’idée, partagée, est qu’il faut poser ces questions de façon ouverte, et oser en débattre par une démarche de concertation territoriale.

Discorde. Les sujets de discorde ne se limitent pas à la crainte des moustiques. Reparler du marais, c’est questionner le choix de la décharge intercommunale, qui pourrait menacer les quelque quarante espèces de libellules inventoriées par A Rocha, laquelle a aussi étudié la pollution croissante de l’eau. C’est mettre au jour le conflit récurrent entre chasseurs et propriétaires sur la digue du canal, c’est également analyser l’impact environnemental de l’agriculture et son avenir. C’est, enfin, reposer la question de la ressource en eau, une eau de qualité qui sourd de nombreuses sources ou laurons et dont la demande explose pour l’urbanisation croissante, l’activité agricole, le tourisme avec golfs et piscines en pleine expansion.

Audace. Le fait de confier une mission de concertation territoriale à une association connue pour son opposition à la décharge et ses choix environnementaux est audacieux. Ne risque-t-on pas de braquer les gens ?
La qualité de son relationnel local fondée sur le respect et sa bonne connaissance du terrain emportent la décision.
L’engagement financier initial de la Fondation de France permet de faire appel à un consultant extérieur qui assure un appui méthodologique et accompagne ensuite le processus de concertation de 2006 à 2009.

Organiser la concertation. Animée par A Rocha, avec l’appui de maires de communes avoisinantes, la concertation s’organise. Et, comme le marais concerne au final peu de monde (cinq communes et une vingtaine de propriétaires), les acteurs vont pouvoir être sollicités en direct. Cinq moyens d’action sont en place :
• Le comité de pilotage constitué d’élus et agents d’organismes impliqués dans le processus (Apma, chambre d’agriculture, DDAF) et financeurs (conseil régional, Diren, agence de l’eau).
• Le comité local de concertation ouvert à tous. Ce comité réunit dans des lieux publics entre vingt-cinq et quarante participants, deux à trois fois par an, de 2006 à 2008.
• Des groupes de travail thématiques. Ils rassemblent des acteurs intéressés pour cadrer des études d’approfondissement (histoire du marais, agriculture, tourisme, fréquentation, moustiques, biodiversité…) et en discuter les résultats.
• Un programme de sensibilisation implique écoles et grand public.
• Enfin, les nombreux contacts informels d’A Rocha sur le terrain nourrissent la concertation au quotidien.

Qu’ont-ils décidé ? Compte tenu de l’évolution du contexte social, agricole, et environnemental du site, la concertation suppose un cheminement mental des acteurs.
Prendre des décisions nécessite du temps. Pour autant certains choix ont été faits par les responsables. Ainsi, par exemple (même si le lien avec la concertation est plus ou moins direct) le site de la décharge intercommunale a été fermé ou, encore, la chasse sur la digue du canal a été interdite.
Par ailleurs, des pistes de valorisation du marais en tant que zone humide, via l’élevage, la récolte des roseaux, la pêche, la chasse sont actuellement explorées… Ainsi, une étude plus approfondie sur les systèmes d’exploitation possibles, a été réalisée l’an dernier par A Rocha (Sonia El May) avec l’ensemble des gestionnaires du marais.
D’une manière générale, la valeur patrimoniale du marais relictuel est mieux, et plus largement, connue par les habitants et les décideurs. Ceux-ci savent désormais, par exemple, que, outre des espèces patrimoniales rares, le marais abrite le plus grand rassemblement migratoire d’hirondelles connu en Europe.

Actuellement. Une étude expérimentale1 est en cours. Elle vise à élaborer des plans de gestion dans quatre propriétés du marais humide, en collaboration avec les propriétaires, à partir d’une connaissance approfondie des aspects hydrauliques et écologiques et d’une réflexion sur les scénarios d’actions que le gestionnaire pourra mettre en place.
Cette méthode pourrait aider d’autres propriétaires, dont certains ont déjà tenté de nouveaux projets « compatibles zone humide ».
Si la concertation a pris un rythme moins soutenu, le comité de pilotage et les contacts locaux se poursuivent, ainsi qu’une information sur l’avancement du projet intitulé « Vers une gestion globale et concertée des anciens marais des Baux ».

1. Conduite par A Rocha avec l’appui de La Tour du Valat, dans le cadre des actions du PNR des Alpilles. Financements : conseil régional, l’Agence de l’eau RMC, Dreal.